A
A

Comment analyser le niveau de décentralisation d’une blockchain ?

ven 17 Fév 2023 ▪ 15 min de lecture ▪ par Ralph R.
Apprendre Blockchain

Internet a changé la façon d’aborder les textes de loi, le commerce et la recherche, dans le traitement de l’information. L’innovation du Bitcoin a bouleversé la finance, la logistique … et la confiance, dans le traitement de la valeur. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, les gens peuvent se faire confiance sans se connaître. Ils peuvent faire des transactions de pair à pair par internet, sans passer par un intermédiaire de confiance. C’est le principe sous-jacent de la décentralisation, qu’incarne la révolution technologique de la blockchain du Bitcoin. La confiance n’est pas personnifiée par une entité centrale, mais par la gouvernance de validateurs. Elle est nativement présente dans le code informatique du réseau Bitcoin, mais également d’autres blockchains. Néanmoins, leurs niveaux de décentralisation restent disparates, dépendamment des cas d’usage. Décryptons cette notion abstraite de décentralisation, qui va certainement ouvrir de nouvelles voies pour la prospérité dans le monde.

blockchain

L’objectif de la décentralisation

Il existe plusieurs niveaux et plusieurs descriptions de la décentralisation. La meilleure définition reste globalement le processus de transfert ou délégation du pouvoir, d’autorités centralisées vers un groupe d’acteurs. Le niveau de décentralisation dépend donc naturellement de la manière dont le pouvoir et la gouvernance sont répartis. La décentralisation peut être évoquée de manière isolée, mais nous l’aborderons dans le prisme de la blockchain. Par conséquent, deux composantes essentielles déterminent le niveau de décentralisation global d’une blockchain. Nous allons les analyser en détail tout au long de cet article.

Blockchain, entreprises technologiques, décentralisation
Blockchain, entreprises technologiques, décentralisation

Premier niveau de décentralisation d’une blockchain : le nombre d’acteurs

Pour rappel, la blockchain est une technologie de stockage de données sous forme de registre distribué. Les informations (transactions monétaires ou autre) ne sont pas stockées sur une base de données centrale. Elles ne sont donc pas contrôlées par une seule entité. En revanche, les ordinateurs de plusieurs validateurs de la blockchain conservent ces informations de manière simultanée et synchronisée. Imaginez le remplacement du serveur de Netflix par une multitude d’ordinateurs. Ces derniers contiendraient un ou plusieurs parties de films en fonction de leurs puissances de stockage. Ils maintiendraient le réseau et seraient rémunérés par la blockchain de Netflix (réduction d’abonnement ou récompenses en cryptomonnaies).

Blockchain
La blockchain pour tracer et contrôler des marchandises ?

Il est à noter que les blocs du registre distribué sont encryptés. Par ailleurs, lorsqu’un bloc est ajouté, il est attaché au bloc précédent. Les blocs sont donc tous reliés les uns aux autres par leurs encryptions. Ce qui garantit l’aspect inaltérable et transparent de la blockchain. À titre d’exemple, les validateurs de la blockchain de Netflix ne pourraient pas modifier le contenu qu’ils stockent. Le nombre de validateurs détermine donc le premier niveau de décentralisation d’une blockchain, sur le plan architectural. Toutefois, il manque une deuxième composante cruciale dans cette définition de l’architecture distribuée d’une blockchain. Cet élément, issu de l’innovation du bitcoin, va déterminer le deuxième niveau de décentralisation de la blockchain.

bitcoin première crypto développé avec Gavin Andresen
Bitcoin, une nouvelle technologie qui utilise la cryptographie

Quel mode de consensus entre les acteurs d’un réseau ?

Cette définition de la blockchain n’a effectivement rien d’une révolution. La cryptographie et la notion de registre distribué existent depuis une trentaine d’années. En revanche, comment faire pour mettre d’accord les validateurs, concernant la véracité des informations sécurisées et ajoutées à la blockchain ? Autrement dit, comment créer un consensus unanime entre tous les acteurs du réseau ? L’innovation de rupture du Bitcoin créée par Satoshi Nakamoto réside dans cet aspect essentiel de la blockchain.

Stellar, Blockchain, CFTC, Etats-Unis, accord, GMAC
Stellar, Blockchain, CFTC, Etats-Unis, accord, GMAC

Imaginons une assemblée de neuf copropriétaires devant choisir entre rénover la façade de leur immeuble ou remplacer toutes les fenêtres. Prenons comme deuxième exemple une famille avec trois enfants partagés entre le choix de deux films. Enfin, mettons-nous à la place de deux équipes de football qui s’affrontent amicalement, sans arbitre pour superviser la rencontre. Dans les deux premiers cas, un vote à main levée suffirait à résoudre le problème. Dans le troisième cas, les décisions prises sont globalement assumées, mais les litiges sont parfois plus délicats à appréhender. Comment les acteurs du match déterminent-ils s’il y a une faute dans la surface de réparation ? Qui décide si la balle est sortie ou non du terrain ?

Les consensus naturels mentionnés précédemment ne sont cependant pas parfaits. Dans le premier exemple, cinq copropriétaires l’emportent pour le remplacement des fenêtres. Mais un copropriétaire en désaccord avec le consensus peut soudoyer un des cinq copropriétaires afin d’influencer le vote final. Un des enfants peut appeler quelques amis afin d’orienter la décision familiale sur le choix du film. Enfin, le rapport de force entre les équipes de football peut être inversé par la mauvaise foi explicite d’un joueur. Dans tous les cas, le consensus peut présenter certaines injustices ou défaillances humaines, quant à la confiance.

La notion de consensus indiscutable dans la décentralisation

La solution consiste à imaginer un consensus indiscutable, qui ne peut être contredit par aucune des parties. Si les neuf copropriétaires sont en compétition pour résoudre la même équation mathématique, personne ne contestera le gagnant. Ce dernier décidera du choix final pour la copropriété, toutes choses étant égales par ailleurs. Si un tirage au sort est effectué entre les membres de la famille, l’heureux élu pourra choisir le film. Finalement, les décisions prises au cours du match amical de football le seront par les joueurs ayant le plus d’expérience. Les règles sont claires dès le départ, et la notion de confiance revêt donc une importance moindre.

L’exemple des copropriétaires illustre la preuve de travail, utilisée par le protocole du Bitcoin pour mettre en compétition les mineurs. L’objectif étant de trouver la solution d’un puzzle mathématique. La combinaison du mineur gagnant permet de cadenasser le contenu du bloc et de le rendre inaltérable. Le mineur gagnant gagne le droit d’ajouter son bloc à la blockchain du réseau BTC. L’ensemble des validateurs du réseau vérifie unanimement et instantanément la conformité du bloc ainsi sécurisé, sans contestation possible.

mining bitcoin mineurs furtifs
mining bitcoin mineurs furtifs

Le tirage au sort dans l’exemple de la famille confrontée à un choix de deux films fait référence à la preuve d’enjeu. Les validateurs du réseau sont désignés en fonction de leur puissance financière engagée dans le processus. La récompense prévue dans le protocole et issue de l’ajout d’un bloc est strictement proportionnelle à l’engagement financier du validateur. Enfin, la preuve d’autorité désigne les validateurs dont l’identité est approuvée et affichée sur la blockchain. À l’image des joueurs de football expérimentés, elle incite les validateurs concernés à soigner leur réputation qui est en jeu.

gold word staking and tablet for business or cryptocurrency concept 3d rendering
Photo by niphon on Deposit Photos

Deuxième niveau de décentralisation d’une blockchain : le pouvoir des mathématiques

Les modes de consensus susmentionnés ont certes des niveaux de décentralisation et de sécurité différents, et ne sont pas exhaustifs. Mais ils possèdent tous un point en commun : leur irréfutabilité. De fait, ces trois modes de consensus permettent de mettre d’accord un certain nombre d’acteurs suivant un angle universel commun. À savoir, des aspects neutres, incontestables et irréfutables comme les mathématiques, les probabilités et la logique. La rationalité de ces éléments permet donc d’éliminer le facteur confiance dans l’établissement du consensus. L’irréfutabilité du processus de validation des informations ajoutées représente ainsi le chainon manquant de la blockchain. Et son deuxième niveau de décentralisation.

Concept of dealing with troubles. Chalk sketch of connecting puzzles with words immutability and mutability.
Photo by IUshakovsky on Deposit Photos

Une répartition géographique idéale des mineurs garantit un niveau de décentralisation élevé pour la preuve de travail du protocole Bitcoin. Tout comme la faible barrière à l’entrée des validateurs de ce réseau acéphale. En revanche, le coût des machines de minage peut être un frein pour les nouveaux entrants. Ce qui constitue un inconvénient dans la volonté de décentralisation parfaite du protocole du Bitcoin. Tout comme le risque de centralisation des mineurs via les pools de minage.

mining hash
Un seul article pour comprendre comment fonctionne le mining de bitcoins, SHA-256, les hash, les pools de mining, etc.

La preuve d’enjeu présente un certain intérêt pour tous les validateurs, en raison des faibles barrières financières à l’entrée. Cependant, le risque de ralliement des validateurs les plus riches peut nuancer cette assertion, sur le plan politique et économique. Enfin, la preuve d’autorité présente un faible niveau de décentralisation, la réputation des validateurs étant contrôlée par des entités centralisées.

Avantages et inconvénients d’avoir un niveau de décentralisation élevé

Appeler de ses vœux les bienfaits de la décentralisation semble contradictoire, eu égard aux avantages naturels de la centralisation. De fait, une architecture centralisée rend le processus plus rapide et donc moins cher à maintenir. Si le président de la copropriété assume seul la prise de décision quant au maintien de l’immeuble, cela semble plus facile à gérer. Il y va de même si le père de famille choisit le film de manière unilatérale. Un arbitre qui dirigerait les débats lors du match de football supprimerait toute ambiguïté dans les prises de décision. Cependant, le contrôle de toute activité sous une même autorité peut engendrer une dérive au niveau des prises de décision. Le président de la copropriété peut avoir un conflit d’intérêt avec certaines compagnies de construction. L’arbitre peut être soudoyé afin d’influencer les décisions du match. Et quel message le père de famille fait-il passer à ses enfants ?

En considération de ces aspects négatifs de la centralisation, les avantages de la décentralisation apparaissent plus évidents. D’une part, tout le monde peut être un acteur du processus et participer à sa gouvernance, sans autorisation. D’autre part, aucune censure n’est possible de la part d’une autorité centrale. Le risque de piratage ou de panne du processus est également mitigé. Le gouvernement fédéral américain, JP Morgan et LinkedIn peuvent en témoigner. Enfin, la valeur numérique de l’information sur internet bénéficie aux acteurs du système, et non aux intermédiaires centralisés. Ces derniers se sont longtemps appropriés les munificences de l’ère numérique de manière totalement asymétrique et unilatérale. La création de richesse a paradoxalement augmenté en même temps que les inégalités sociales. La décentralisation vise donc à permettre la prospérité de la population. Et ce, au détriment parfois d’une liberté d’expression exacerbée, inconvénient que les organisations autonomes décentralisées pourront minimiser.

Quel niveau de décentralisation d’une blockchain pour quels usages?

Quelle est la bonne adéquation entre l’usage d’une blockchain et son niveau de décentralisation ? Les blockchains ultra centralisées possèdent des intermédiaires de confiance centralisés et ont un premier niveau de décentralisation nul. Notamment les blockchains des futures monnaies numériques de banque centrale. La volonté de la part des banques centrales, de contrôler la politique monétaire ne nécessite donc pas d’avoir une large distribution des intermédiaires. Elle ne requiert pas de mode de consensus décentralisé et coûteux en énergie comme la preuve de travail. La blockchain concernée représente une simple optimisation incrémentale du processus existant de création monétaire.

paiement numérique, blockchaine, système, red date technology, stablecoins, CBDC
paiement numérique, blockchaine, système, red date technology, stablecoins, CBDC

En revanche, certaines blockchains montrent un niveau optimal de décentralisation des intermédiaires, sans aucun tiers de confiance. C’est évidemment le cas du Bitcoin, qui se veut une monnaie neutre et incensurable par aucune autorité centrale. Chaque personne représente un potentiel de richesse en détenant une partie du pouvoir monétaire. Le peuple devient sa propre banque centrale, au travers de la création monétaire par la preuve de travail. Le coût énergétique de ce mode de consensus est justifié par le niveau de décentralisation géographique élevé des acteurs.

blockchain-limites_last-mile_problem
blockchain-limites_last-mile_problem

Il existe des blockchains avec des niveaux de décentralisation intermédiaires. C’est le cas de blockchains d’administration, qui n’ont pas besoin d’une multitude d’intermédiaires, ni d’un mode de consensus complètement décentralisé. La preuve d’autorité, bien que plus centralisée, est un mode de consensus idéal pour les cas d’usages de ces blockchains. Par ailleurs, Ethereum, voué à devenir le futur internet des valeurs, a récemment adopté la preuve d’enjeu. Ce mode de consensus moins géographiquement décentralisé reste moins énergivore et plus ouvert au niveau de l’entrée de nouveaux validateurs. Ethereum n’étant pas voué à être une monnaie, son caractère neutre est moins critique que celui du Bitcoin.

Image d'une main avec le mot blockchain au milieu et plein d'icones qui gravitent autour
Blockchain, crypto

Conclusion

Les blockchains centralisées et sensibles à la censure ne sont intrinsèquement pas utiles pour une société plus libre. Elles amèneront cependant de nombreux cas d’utilisation pour les entreprises et gouvernements, dans le cadre de l’amélioration des processus internes. Les blockchains décentralisées résisteront aux attaques étatiques et à la corruption, palpable dès que la notion de valeur est présente. La décentralisation reste toutefois une question d’équilibre fragile, en raison de notre habitude de transiger avec un monde extrêmement centralisé. Depuis toujours, la facilité liée à la centralisation de toutes nos transactions en ligne a pris le pas sur notre liberté numérique. En effet, la centralisation reste certes synonyme de rapidité d’exécution. Mais la décentralisation sacrifie une partie de cette efficacité opérationnelle pour devenir essentiellement un projet de société. Une société plus prospère, plus équitable, dans laquelle chaque acteur peut avoir son rôle à jouer.

Recevez un condensé de l’actualité dans le monde des cryptomonnaies en vous abonnant à notre nouveau service de newsletter quotidienne et hebdomadaire pour ne rien manquer de l’essentiel Cointribune !

A
A
Ralph R. avatar
Ralph R.

Consultant international en gestion de projet. Ingénieur de formation, avec une maîtrise en administration des affaires (M.B.A.) et affaires internationales d’HEC Montréal. Passionné de technologie et de cryptomonnaies depuis 2016.

DISCLAIMER

Les propos et opinions exprimés dans cet article n'engagent que leur auteur, et ne doivent pas être considérés comme des conseils en investissement. Effectuez vos propres recherches avant toute décision d'investissement.

Ne manquez aucune actu et abonnez-vous à Cointribune sur Google Actualités !