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Du PétroDollar au PétroBitcoin

dim 21 Mar 2021 ▪ 14 min de lecture ▪ par Nicolas T.

Sans énergie, rien ne bouge. 98 % du transport planétaire se fait avec du pétrole. Et sans transport, pas de croissance. Le mazout est littéralement le sang de l’économie, si bien que la monnaie dans laquelle il se vend est de la plus haute importance. Nous revenons dans cet article sur les origines du pétrodollar. Comment en est-on arrivés à ce que tout le pétrole du monde soit vendu en dollar ? Enfin, « tout » le pétrole, peut-être pas… L’Iran et le Venezuela, deux pays fondateurs de l’OPEP, ne veulent plus du dollar. Et si l’or noir se vendait en or digital ?

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Le pacte de Quincy

L’écroulement du système monétaire international de Bretton Woods (l’étalon-or/Gold Standard) aurait dû creuser la tombe du dollar mais il n’en fut rien grâce à… Henry Kissinger. Ce dernier savait bien que la fin du Gold Standard allait inciter tous les pays du monde à se débarrasser du billet vert. Et d’autant plus que les États-Unis avaient atteint à la même époque (1970) leur pic de production de pétrole conventionnel !! Il était donc absolument vital de trouver une solution. Kissinger, à la faveur d’un contexte historique propice, va réaliser le plus grand coup de poker géopolitique des États-Unis à ce jour : la création du pétrodollar…

Mais avant d’en parler, rappelons que les prémices du pétrodollar remontent aussi loin que 1945. De retour de la conférence de Yalta avec Staline et Churchill, le président américain Roosevelt mouilla son croiseur, l’USS Quincy, le long du canal de Suez. C’est à bord de ce bateau de guerre qu’il rencontra le roi Abdelaziz Al Saoud, à l’insu de Churchill. L’Américain ne se gêna pas pour arracher la péninsule arabe du giron britannique en offrant à Abdelaziz la protection militaire des États-Unis. Le roi lui promit en retour de garantir l’essentiel de l’approvisionnement énergétique américain pendant 60 ans. Cette entrevue fut appelée plus tard le « pacte de Quincy » et sera renouvelée en 2005 par George Bush.

Cet accord tacite inclut également la promesse du président américain de ne pas autoriser la création d’un État juif en Palestine. Mais Roosevelt mourra 2 mois plus tard et son successeur, Harry Truman, main dans la main avec les Anglais, sera un farouche supporter de la fondation d’Israël en terre de Palestine. Il reconnaîtra l’État d’Israël 11 minutes après que les Israéliens se soient déclarés une nation, contre l’avis de son ministre des Affaires étrangères qui alla jusqu’à menacer de voter contre lui aux élections suivantes.

L’Arabie Saoudite face au Nassérisme

L’Arabie saoudite restera dans le giron américain malgré la création d’Israël car elle avait besoin d’un allié de poids pour contrer la popularité grandissante de Nasser en Égypte. Ce dernier avait réussi à renverser la monarchie égyptienne et, soutenu par l’URSS, faisait la promotion active d’une politique socialiste panarabe. Les Saoudiens étaient terrifiés et n’avaient d’autre choix que de rester dans les jupons des États-Unis pour contrer les idées de Nasser qui faisait des émules jusque dans son royaume. Craignant pour leur monarchie, les Saoudiens tentèrent d’assassiner Nasser en 1958 lors de son retour de Syrie où il venait de célébrer la création de la République arabe unie, une union de l’Égypte avec la Syrie en une seule patrie (400 députés égyptiens et 200 pour la Syrie).

Le roi Saoud donna 3 millions de dollars au chef des services secrets syriens pour qu’il abatte l’avion de Nasser, mais le complot fut déjoué et ébruité, ce qui poussa le roi saoudien, humilié, à abdiquer 6 ans plus tard en faveur de Fayçal ben Abdelaziz Al Saoud. Or ce dernier n’a pas oublié la trahison du président Truman et sera un fervent supporter du leader palestinien Yasser Arafat. Il lui obtiendra même un passe-droit pour être traité comme un chef d’État lors de l’assemblée générale des Nations Unies de 1974.

Mais revenons-en à H. Kissinger. C’est en cette même année (1974) que se déroula la deuxième réunion historique entre les Saoud et les États-Unis. Kissinger (il est juif et a fui les persécutions de l’Allemagne nazie lorsqu’il avait 15 ans avant de revenir comme soldat 5 ans plus tard pour se battre en France et en Allemagne) est alors Secretary of State depuis 1973 et cherche à sauver le dollar de l’ornière de la fin de l’étalon-or.

Cette réunion fut le point culminant du plan machiavélique de Kissinger qui puisa ses racines dans la guerre du Kippour (1973) avant de déboucher sur la création du pétrodollar. Cette guerre opposa Israël à une coalition arabe menée par la Syrie et l’Égypte.

Le Choc Pétrolier de 1973

Kissinger convainquit le président américain Nixon d’intervenir en faveur d’Israël, sachant pourtant qu’une telle décision allait enrager les pays arabes dont la réaction ne se fit pas attendre. En représailles, certains pays arabes membres de l’OPEP, Libye et Arabie saoudite en tête, cessèrent leurs exportations en direction des États-Unis et des nations européennes supportant Israël. En 1974, le prix du baril a déjà quadruplé. Il passe de 3 à 12 $. De 1970 et 1980, le prix du baril sera multiplié par 10. (Imaginez-vous que le prix du baril soit multiplié par 10 aujourd’hui…)

À la même époque, les pays de l’OPEP sont en train de s’affranchir de la tutelle des entreprises  pétrolières européennes. Dès 1973, l’Irak, l’Iran, le Koweït, les Émirats arabes unis, le Qatar et la Libye réussirent à nationaliser les industries pétrolières appartenant auparavant à British Petroleum, Royal Dutch-Shell ou encore la Compagnie française des pétroles (ex-Total).

Si Kissinger voulait garder les puits de pétrole de l’Arabie saoudite dans son giron, en revanche, il avait besoin que les autres pays arabes s’émancipent vis-à-vis de l’Europe pour réaliser son plan. À l’époque, cela fait déjà des années que les États-Unis mènent une politique étrangère allant à l’encontre les intérêts européens.

Les États-Unis n’avaient par exemple pas bronché lorsque Nasser nationalisa le canal de Suez au nez et à la barbe de la France et de l’Angleterre en 1956. La facilitation de la création de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) quatre ans plus tard (1960) par Washington fut une autre preuve des ambitions géopolitiques américaines, puisque ce cartel permit aux nations arabes de présenter un front uni pour nationaliser les compagnies pétrolières européennes.

L’OPEP, une construction américaine

C’est la très influente journaliste américaine Wanda Jabloski, éditrice de la revue hebdomadaire Petroleum Intelligence Weekly, qui joua les entremetteuses entre le Premier ministre du pétrole saoudien Abdullah Tariki et le diplomate vénézuélien Juan Perez Alfonzo, les deux protagonistes qui créèrent l’OPEP. Paralysées par les stigmates de la Seconde Guerre mondiale, les nations européennes assistèrent, impuissantes, à la montée en puissance de l’OPEP et aux nationalisations de leurs industries pétrolières.

L’OPEP va même envisager un temps de libeller son pétrole en or à la place du dollar en raison de la dépréciation brutale de ce dernier dans le sillage de l’abandon du Gold Standard en 1971.

Mais il était évidemment hors de question d’offrir aux Arabes la possibilité d’aspirer tout l’or du monde…

L’émancipation des pays arabes vis-à-vis de la férule européenne n’est qu’un prélude à l’émergence du pétrodollar. Kissinger voulait que les pays arabes fassent exploser le prix du baril en réaction à son soutien à Israël lors de la guerre du Kippour. Cette hausse des prix allait permettre d’affaiblir un peu plus les Européens (qui n’ont pas de pétrole, contrairement aux Américains) et faire monter les tensions géopolitiques. C’est précisément ce que cherche Kissinger car il sait bien que l’armée américaine aura le dernier mot si le ton monte.

La discorde internationale arriva à son paroxysme lorsque Nixon démissionna (9 août 1974). En effet, son vice-président, Gerald Ford, déclencha la fureur du roi saoudien en prenant la décision de reconnaître Jérusalem comme la capitale de l’État hébreu…

La création du Pétrodollar

En réaction, l’Arabie saoudite continua de faire grimper le prix du baril, sans savoir qu’elle faisait en réalité le jeu de Kissinger qui finira tout simplement par menacer l’Arabie saoudite d’utiliser la force pour remédier à ce qu’il qualifie alors « d’étranglement du monde industrialisé ». Le journal London Sunday Times révéla même en février 1975 l’existence du plan « Dhahran Option Four » qui prévoyait d’envahir l’Arabie saoudite pour prendre possession de ses puits de pétrole.

Le roi Fayçal entendra très distinctement ces roulements de tambour et, en fin d’année 1974, finit par entendre une proposition qu’il ne peut pas refuser… Kissinger lui promet une protection militaire contre Israël, la vente illimitée d’armement, un rétropédalage sur la question de Jérusalem et un retour d’Israël dans ses frontières de 1948

En échange de quoi l’Arabie saoudite devait s’engager à respecter deux choses :

  1. Vendre son pétrole EXCLUSIVEMENT en dollar ;
  2. Investir ses surplus de dollars dans la dette américaine (ce qui permet de soutenir artificiellement le dollar malgré un déficit commercial chronique)

Voilà comment le pétrodollar est né…

Une sale histoire

Le roi Fayçal se résigna à coopérer devant les belles promesses vis-à-vis d’Israël, la pression internationale, les menaces d’invasion et surtout l’assassinat simultané des deux protagonistes des négociations avec les États-Unis. Le gouverneur de la Banque centrale saoudienne Anwar Ali fut retrouvé mort à l’hôtel new-yorkais Waldorf Astoria et le ministre des Affaires étrangères Omar Saqqaf à Washington.

Tous deux furent assassinés le même jour (le 14 novembre 1974). Ces deux émissaires avaient pour mission de résister aux demandes des Américains concernant la vente de son pétrole exclusivement en dollar. Devant tant de pression et de fausses promesses (le retour d’Israël dans ses frontières de 1948), le roi Fayçal finira par accepter de vendre son pétrole en dollar.

[Le roi saoudien fut assassiné le 25 mars 1975 (jour d’anniversaire du prophète Mohamed). Pour découvrir les dessous de cette histoire, je vous invite à lire mon livre : Les esclaves de l’anthropocène.]

Les esclaves de l'anthropocène

Mais voilà dans les grandes lignes la genèse du pétrodollar. Alors que les pays européens frondeurs pensaient avoir porté l’estocade au dollar avec la fin du Gold Standard, Kissinger retourna complètement la situation en « orchestrant » le choc pétrolier avant de forcer l’OPEP à vendre son pétrole exclusivement en dollar. L’Europe s’est retrouvée à la fin des années 1970 avec un pétrole cher et seulement payable en dollar. Game over…

Pétrobitcoin

« L’Amérique n’a pas d’amis ni d’ennemis permanents, mais seulement ses intérêts. »

Cette déclaration de la part d’Henry Kissinger a été rapporté par Dinesh D’Souza dans The white house years.

Rien n’a changé. Le monde entier est obligé de vendre des marchandises aux États-Unis ou bien d’emprunter auprès de ses banques pour se procurer les dollars nécessaires à l’achat de pétrole. Le pétrole est la matière première la plus échangée au monde et son commerce représente 14 000 milliards de dollars par an… Kissinger a offert aux États-Unis le privilège exorbitant de pouvoir afficher une balance commerciale chroniquement déficitaire. Le déficit commercial cumulé des États-Unis représente aujourd’hui plus de 10 000 milliards de dollars

Mais la défense de ce privilège a coûté la vie à des millions de personnes et continue de mettre le Moyen-Orient à feu et à sang… La mise sous embargo de l’Iran et du Vénézuéla, deux pays cumulant une immense part des réserves de pétrole mondiales, n’a pas d’autre objectif que de protéger ce privilège.

La confrontation que nous observons entre la Chine et les États-Unis y est également directement liée. Washington veut à tout prix empêcher que l’empire du milieu puisse acheter son pétrole en yuan. Les Américains iront probablement jusqu’à la guerre pour que le pétrole reste libellé uniquement en dollar.

Le statut de monnaie de réserve internationale n'est pas éternel

Voilà pourquoi le bitcoin est si important. Il est une monnaie apatride ne profitant à aucun pays en particulier. Il est également une monnaie anti-inflationniste contrairement au dollar qui a perdu 98 % de sa valeur depuis un siècle. Le Venezuela et l’Iran ont commencé à miner le bitcoin…

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Nicolas T.

Le Bitcoin est une éruption d'énergie chiffrée incensurable se diffractant aux quatre coins d'un monde en ébullitions géopolitique et inflationniste. Je vous tiens au courant.

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