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Comment Kraken refuse les responsabilités financières et juridiques de son flash crash !

mer 31 Mar 2021 ▪ 16 min de lecture ▪ par Claire D.

Kraken a subi un flash-crash le 22 février 2021 à 14h20. Les taux de change de l’Ether se sont effondrés, les mécanismes de sécurité se sont déclenchés automatiquement et ont réalisé des liquidations massives … beaucoup d’usagers ont perdu beaucoup d’argent en moins de 15 minutes top chrono.

La question est donc maintenant : Qui est responsable de quoi et qui endosse cette responsabilité ?

Les utilisateurs demandent réparations sur leurs pertes

En effet, les pertes financières des utilisateurs ne sont pas dues à leurs mauvais placements, ou des interprétations erronées, ou des stratégies personnelles bancales.

Elles sont les conséquences d’une panne ou d’une faille de la plateforme Kraken, qui a entraîné dans son sillage de gigantesques liquidations sur les actifs  de ses usagers, alors qu’ils avaient placé leurs ordres en toute connaissance du marché.

Si Kraken reconnaît que sa plateforme d’échanges a subi un flash crash, elle refuse néanmoins de porter les responsabilités de ce dysfonctionnement structurel et surtout des répercussions financières qu’il a entraînées. En un mot : elle refuse de rembourser les utilisateurs spoliés de leurs biens déposés sur sa plateforme, victime d’une panne.

Les clients furieux -et certains ruinés- commencent à ouvrir une ClassAction et découvrent alors que Kraken leur a fait signer des clauses abusives, ces clauses leur interdisant le droit de convoquer la Justice publique nationale pour les secourir ! La surprise est de taille autant aux USA qu’en France.

Une avocate française, Pascaline MELINON, Avocat au Barreau de Paris monte au créneau et passe par la Cour Européenne de Justice pour demander réparation au nom de ses clients victimes du flash Kraken du 22 février 2021.

Du flash-crash au refus d’endosser les responsabilités juridiques et de rembourser les pertes de ses clients, on découvre des conditions de service/vente abusives et le recours très controversé à l’arbitrage, une cour de justice privée très chère, très rapide et très confidentielle mais surtout limité en droit de la consommation.

Rappel des faits

Le 22 février 2021, KRAKEN a connu un flash-crash à 14h20 :  la plateforme qui affichait l’Ether à 1 600 $, affiche soudainement l’Ether à 700 $, soit un prix dévalué à 64% de sa valeur de vente.

A cause de ces nouvelles valeurs imprévisibles des mécanismes de sécurité automatique se déclenchent en chaîne : il y a la liquidation massive des stoploss des traders et la liquidation massive des collatérales de garantie mises en place par les investissements. De plus, la plateforme est inaccessible et les comptes sont bloqués. (stoploss : ordre qui s’exécute automatiquement pour limiter les pertes ou prendre les gains (take profit) dans une transaction).

Le PDG de Kraken, Jesse Powell déclarera que cette chute soudaine de plus de 50 % du prix de l’Ether sur le marché de sa bourse, avait été causée par une vente de très gros montant et non par un problème dans le système de la plateforme.

Plus exactement, Jesse Powell donne ces réponses à Bloomberg Television le mardi 23 février:  « Nous sommes en train d’enquêter mais il ne semble pas y avoir de preuve d’un dysfonctionnement du moteur de négociation. Il semble que les transactions aient été traitées avec précision . Il se pourrait qu’une seule baleine ait simplement décidé de revendre ses stocks  ».

En langage clair, il attribue des changements de taux de l’Ether à 1 seul très gros vendeur qui aurait « décidé de vider ses économies » …. cette baleine aurait déstabilisé les cours des paires d’échange sur Kraken rien qu’en vendant une trop grande quantité  d’Ether à titre personnel.

En tout cas, c’est ce que le PDG de Kraken, Jesse Powell, a utilisé pour rejeter la responsabilité du crash.

Sauf que ….

Les exchanges sont régulés pour assurer la sécurité des marchés. La régulation leur impose de prendre des mesures techniques et opérationnelles pour éviter ce genre d’incident. C’est pourquoi dans le fonctionnement et l’organisation des marchés classiques, les opérateurs boursiers, tels que Foprex, Nasdaq, EuroNext, etc … ne sont pas habilités à effectuer des ordres d’achat-vente massifs.

Lorsqu’il y a de trop grosses quantités à échanger, les transactions doivent être  réalisées dans l’anonymat des dark pools, qui travaillent exclusivement avec des dérogations de transparence pré-négociation.  Les dark pools ont été créés pour faciliter la négociation de blocs de titres en gros volumes. Ces organismes officiels sont comparables à des bourses privées de négociation de titres et sont enregistrés auprès de leurs instances de tutelle nationale, comme la SEC aux USA, l’AMF en France, etc.

Ce système opaque dédié aux transactions importantes,  limite  les impacts négatifs sur les marchés ainsi que la volatilité des cours. Il permet aussi de conserver des valeurs de transactions favorables à tous, de réduire les conflits d’intérêts entre acheteurs-vendeurs-traders à haute fréquence et ainsi de garder la confiance des investisseurs sur un marché régulier et régulé.

Tout est fait pour que ces volumes de transactions ne nuisent pas aux cours habituels qui seraient trop grandement influencés par des ordres trop volumineux. Cette volumétrie inhabituelle serait trop anxiogène pour les acteurs du marché, qui pourraient adopter  comportement grégaire et frénétique de sur-achats ou de sur-ventes, ce qui favoriserait  une hypervolatilité des cours, déstabilisant les  marchés, les investisseurs et les entreprises elles-mêmes. 

Or si le principe de dark pool a été mis en place chez les opérateurs boursiers traditionnels aux Usa, en Europe, au Uk, etc et qu’il fonctionne parfaitement, il a évidemment été mis en place pour les bourses d’exchange crypto !

Toute cette longue explication pour débouter la parade improbable de Kraken.

Bis repetita ?

De plus malheureusement, ce n’est pas la première fois que la plateforme connaît ce type de dysfonctionnements technique: elle a déjà été exposée à des flash crash similaires

L’application NEXO qui utilisait seulement les cours de Kraken pour effectuer ses calculs de taux d’intérêt pour les prêts et ses calculs de collatéraux pour garantir les emprunts (ou les liquider), a rassuré ses clients impactés par cette défaillance de cours. Ils assument l’entière responsabilité de ces liquidations automatiques et indemnisent les clients impactés par les taux de Kraken.


Des remboursements -oui- mais que pour ceux qui ont l’idée de les négocier … 

De manière assez surprenante, Kraken a néanmoins commencé à dédommager certaines personnes avec des montants qui s’élèveraient de 5 % à 60 % de leur perte subie. 

Ce qui est incompréhensible car cela ne concerne que certains comptes, et que les pourcentages de dédommagements sur le montant des pertes ne sont pas identiques ! 

Qu’est-ce qui motive et justifie toutes ces incohérences ?

En regardant de plus près, on se rend compte que certains utilisateurs tentaient de résoudre leur litige avec le ChatBot de Kraken, alors que d’autres personnes effectuaient de réelles négociations pour récupérer plus de subsides.

Quand ce processus fut connu du grand public et des personnes concernées, il a été perçu comme totalement injuste! Mais le scandale ne s’arrête pas là.

Pour aller droit au but : Kraken se cache derrière ses conditions générales de service pour empêcher ses utilisateurs de demander réparation.

Comment peut-on empêcher des utilisateurs de s’adresser à leur tribunal national ?

Le site internet kraken.com est accessible à tous, avec des conditions générales de services en anglais, issues du droit américain (et plus spécifiquement du droit Californien) et dotées d’une clause dite “compromissoire” selon laquelle l’utilisateur accepte de s’en remettre à la procédure d’arbitrage en cas de litige. Les utilisateurs signent donc des engagements qui ne paraissent pas révolutionnaires, mais c’est seulement parce qu’ils n’en connaissent pas la signification ni la portée.   

Par exemple, les CGV à signer disposent que 

  • les clients ne peuvent pas se regrouper pour poursuivre la société en ClassAction
  • les clients ne peuvent pas déclarer de litige ni ouvrir de procès auprès de leur cour de Justice nationale

Ce qui signifie en clair que les clients ne pourront poursuivre la société que de façon individuelle et que s’ils veulent intenter une action en justice, ils seront contraints au cadre du tribunal arbitral.

 Or le système du tribunal arbitral est assez peu connu du grand public, mais il est redoutablement efficace et ce sur tous les plans. À commencer par ces 3 détails indispensables : il est très cher, très rapide et complètement secret.

Le tribunal arbitral n’est pas ouvert au grand public, c’est un monde clos et secret.

N’importe quel contrat légal peut indiquer dans ses clauses que le recours à la justice se fera par l’entremise d’un tribunal arbitral.

En acceptant cette clause, les parties renoncent à la possibilité de déclencher un procès public devant un tribunal national et acceptent de convoquer un tribunal arbitral, se composant d’experts se réunissant lors de réunions à huis clos (donc interdites au public) pour vérifier que la Loi soit bien appliquée en équité.

C’est un mode de fonctionnement complètement opposé à celui d’un tribunal national, indépendant et impartial établi par la loi du pays du siège de la société ou de la personne portant plainte. Or l’article 2061 du Code civil précise qu’une clause compromissoire ne peut être opposée à un consommateur. Comme en droit français une telle clause est interdite, il est fort probable que le juge soulève d’office l’illégalité de la clause compromissoire.

Le diable se cache dans les détails car de quelles lois parle-t-on ? 

En effet, ce genre de conditions générales stipule sous quelle juridiction le tribunal arbitral instruira cette affaire et portera la résolution de ce conflit. Même s’il n’y a aucune justification, ces clauses indiqueront leur choix de législation, qu’il s’agisse du droit américain, ou du droit des Bahamas , du droit chinois, ou par inadvertance du droit européen.

La diversité intellectuelle des législations nationales et l’expertise des intervenants rendent la procédure du tribunal arbitral excessivement onéreuse. 

Créé à l’origine pour délester les tribunaux, raccourcir les délais de jugement, garder les experts disponibles et faciliter l’exécution de la sentence dans les affaires internationales ou les affaires confidentielles impliquant la haute finance, le tribunal arbitral est devenu l’arme favorite des grandes puissances financières de type Goliath contre des petits David effectivement spoliés mais sans le sou. D’autant que quelles que soient les sentences arbitrales prononcées, les conclusions du conflit restent secrètes et n’entament jamais la réputation des parties.

Dans le cas de Kraken, en imposant le choix de l’arbitrage, les conditions générales de service demandent aux clients de signer et donc de renoncer à l’exercice de leurs droits d’accès à la justice non privée. Cette clause -abusive- au regard du droit français, viole également la Convention européenne des droits de l’homme qui dispose en son Art 6 que « Toute personne a droit à un procès équitable et public ».

À l’assaut, au nom de ses clients  

L’avocate française Pascaline Melinon va donc représenter les clients l’ayant saisie autour d’un faisceau de faits précis tant devant le tribunal arbitral que les juridictions nationales.

Le cabinet a repris chaque promesse, argument et allégation de Kraken, pour établir les chefs d’accusations suivants : 

  • pratiques trompeuses: Kraken se présente comme « la meilleure et la plus sûre des bourses d’échange de crypto-monnaies », or via ce dernier flash-crash, Kraken montre qu’il n’est pas le plus sûr et qu’il fait supporter les répercussions de ses failles techniques à ses clients. Par ailleurs, il semblerait que Kraken exclut toute responsabilité dans ses conditions, ce qui n’est pas acceptable. Il doit donc dédommager ses clients
  • violation du droit de la consommation: Kraken ne respecte la directive 93/13/CEE qui considère dans son article 6(1) que «  les clauses abusives utilisées dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas le consommateur, dans les conditions prévues par leur législation nationale », afin d’ouvrir une ClassAction européenne
  • publicité mensongère: les comptes étaient bloqués pendant le flash-crash, alors que Kraken promet « une équipe de sécurité de classe mondiale », une « sécurité optimale du site », « la meilleure sécurité du secteur », « une assistance 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7» en cas de problème et « garantie la protection des actifs de nos clients ». Il doit donc dédommager ses clients.

Le Cabinet se servira peut-être aussi des témoignages de certains de ses clients spoliés de l’intégralité de leurs actifs qui ont subi de drôles de pratiques : 

  • Kraken a menacé de supprimer leur compte s’ils osaient contester l’interprétation du contrat
  • Kraken leur a fait du chantage lié au temps afin qu’ils acceptent la dernière offre finale d’une compensation de 20 % de la perte

L’avocat mettra aussi en exergue que les Conditions Générales de Service bafouent les droits des européens à saisir leurs tribunaux nationaux et la législation de leur pays

Et lorsque la Cour Européenne prononcera la nullité de cette clause illégale -car interdisant le recours au juge national et public- alors les clients européens pourront intenter en plus de leur action individuelle, une nouvelle action collective, une ClassAction Européenne

Entre le tribunal arbitral, la réglementation française et les recherches de réglementation des autorités financières européennes, peut être arrivera t-on à savoir ce qu’il est advenu de la perte de plusieurs centaines de millions, en moins de 15 minutes et d’imposer un remboursement !

Néanmoins, grâce au cas particulier de Kraken et de sa panne, faille ou autre libellé, la question des conditions générales de vente et des contrats faits par les exchanges et les sociétés crypto revient sur le devant de la scène : comment les états peuvent-ils taxer ces entreprises et leurs usagers, sans garantir un minimum de réglementations idoines et de sécurité sur ces acteurs centralisés ou décentralisés qui manipulent l’argent d’usagers nationaux tout en recourant à des procédures d’arbitrage international permettant d’éviter ces mêmes lois nationales ?

Pour toutes informations supplémentaires auprès de Maître Pascaline MELINON, Avocat au Barreau de Paris – 01 79 35 71 87 – 06 29 19 04 54 – www.melinon-avocat.com

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Claire D.

Passionnée d’innovations et blockchains, j’espère arriver à vous partager ma fascination pour ces changements qui se dérouler devant nos yeux !

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