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Et s'il n'y avait plus que le bitcoin ? (2)

ven 29 Juil 2022 ▪ 9 min de lecture ▪ par Nicolas T.

Nous avons expliqué ICI comment les monnaies fiat finissent en hyperinflation. A présent, quid d’un monde héritant d’une seule monnaie, le bitcoin ?

Bitcoin, monde

Du solidus au bitcoin

La monnaie fiat est intrinsèquement une construction ponzienne. Son destin est scellé d’avance. Seule l’année de son délitement complet est inconnue. Cela dépend in fine de notre capacité à produire toujours plus. Et donc à trouver toujours plus de sources d’énergie.

La raréfaction des ressources énergétiques est souvent à l’origine de la chute des civilisations. Une nouvelle théorie propose d’ailleurs que la chute de l’empire Romain aurait été provoquée par la déforestation.

Le bois était la principale source d’énergie pour les industries romaines (90 %). Presque toutes nécessitaient du bois. On le brûlait pour cuire les briques utilisées dans la construction des aqueducs, pour les fenêtres en verre, pour les fours à chaux (ciment) ou encore fondre les métaux. Sans parler du bois utilisé pour le chauffage, la cuisine, les bâtiments, etc.

Steve Hallett soutient dans son livre « life without oil » que l’effondrement de l’empire romain pourrait être lié à un pic de production de bois dans le bassin méditerranéen. Il suggère que le bois devant être transporté de plus en plus loin, la production de l’économie s’est mise à décroître, laissant Rome vulnérable à d’autres problèmes bien documentés d’invasions, d’épidémies et de divisions internes.

D’autres avancent mordicus que l’avilissement de la monnaie serait le premier responsable de l’effondrement romain. La diminution de la teneur en argent et en or des pièces aurait déclenché une hyperinflation et l’écroulement économique de Rome.

L’inflation est certainement venue de l’augmentation du nombre de pièces en circulation. Comme disait Milton Friedman, « l’inflation est toujours un phénomène monétaire en ce sens qu’elle est et qu’elle ne peut être générée que par une augmentation de la quantité de monnaie plus rapide que celle de la production ».

La fin de cette citation, souvent oubliée, et très intéressante. Elle incite à se demander si la dévaluation monétaire romaine ne fut pas en quelque sorte forcée par la baisse de la production (raréfaction du bois) ?

Comme disait le grand orateur romain Cicéron : « serit arbores quae alteri seculo prosint » (Il plante des arbres pour qu’un autre âge en profite).

Peut-être que la baisse de la production déclencha une baisse des revenus de l’État Romain qui se vit obligé de réduire la quantité d’argent dans ses pièces pour en créer davantage.

Augmentation du nombre de pièces + baisse de la production = inflation.

Dit autrement, est-ce que l’œuf ne serait pas la baisse de la production, et la poule, la dévaluation et l’inflation ? Plus proche de nous, rappelons que la FED a multiplié par 9 la taille de son bilan depuis 2007, date du pic de pétrole conventionnel. Le pétrole de notre civilisation thermo-industrielle serait-il le bois de la civilisation romaine ?

Autre question intéressante : L’empire romain se serait-il effondré plus vite s’il n’avait pas dévalué sa monnaie (faute de pouvoir payer son armée) ?

Ce qui amène à la question qui nous intéresse. Quid d’un monde ayant une seule monnaie en quantité absolument fixe. Après tout, l’empire romain a bel et bien fonctionné en utilisant de l’or, non ?

Certes, mais il y avait des mines d’or qui augmentaient constamment la masse monétaire. À son pic minier, on estime que l’empire romain produisait jusqu’à 9 tonnes d’or par an. Ce qui n’était pas assez pour huiler les échanges d’un empire de 70 millions de personnes.

D’où l’utilisation des pièces d’argent, de bronze, de cuivre et de zinc qui venaient augmenter la masse monétaire. Sans oublier la dévaluation monétaire dont nous venons de parler. Les pièces d’argent pur frappées vers 50 après J.-C. n’en contenaient plus que 40 % en l’an 200. Et 3 % vers l’année 270.

En somme, l’argent n’était pas créé à partir de dette comme aujourd’hui. Il était créé sous forme de pièces de métal par l’État et injecté dans l’économie pour toujours.

La croissance de la production était plus au moins en ligne avec la croissance de la quantité de monnaie. La solde du soldat romain suggère qu’il y avait tout de même un peu d’inflation :

Roman empire : wage and coinage
Courbe rouge : Solde d’un soldat romain / Courbe grise : Pourcentage de métal d’argent dans une pièce d’argent

L’inflation du salaire des légions fut relativement faible jusqu’à l’hyperinflation du 3ième siècle. Par ailleurs, les historiens ont du mal à se mettre d’accord pour expliquer comment l’empire romain a pu perdre sa souveraineté. Ce qui suggère que le coupable fut une dégradation de la production économique. Dès l’an 40, le bois utilisé à Rome provient des montagnes du Jura, 1700 km plus loin, avec la barrière des Alpes au milieu…

Quoi qu’il en soit, les Romains devaient de toute façon créer sans cesse plus de monnaie(s) par nécessité. Il fallait bien huiler les échanges. Il est problématique que la population de l’empire grossisse beaucoup plus vite que la quantité de pièces d’or. Difficile de payer en poussière d’or.

Le bitcoin n’a pas ce problème puisqu’il est hautement divisible. La dette mondiale (300 000 milliards $) divisée par 21 millions nous donne 14 millions de dollars par BTC. Soit quatorze centimes par satoshi. En sachant que nous pourrions ajouter plusieurs décimales aux bitcoins s’il le fallait.

Il serait techniquement possible que 21 millions de BTC suffisent à huiler l’économie mondiale. A ceci près que les prix puissent diminuer à mesure que la population augmente.

Admettons que la monnaie fiat disparaisse et qu’un BTC vaille 14 millions de dollars. Nous avons une monnaie déflationniste. Et ensuite ?

Que se passerait-il en cas de ralentissement de l’extraction des ressources nécessaires pour faire tourner l’économie (pétrole, gaz, lithium, cuivre, etc) ? Nous aurions de l’inflation. Absolument. Un monde ayant pour seule monnaie le BTC ne serait pas immune à l’inflation.

Dans ce scénario de hausse des prix, est-ce que les 21 millions de bitcoins peuvent toujours huiler les échanges face à une population qui croît ? Non. Il y aurait des crises.

Admettons un instant que les ressources énergétiques et minérales ne soient pas un problème. Nous avons alors des prix qui baissent naturellement à mesure que la population croît. Un autre problème se pose alors. Quid de l’emprunteur qui voit forcément son salaire baisser à mesure que les prix baissent. Le remboursement de sa dette devient de plus en plus difficile.

Une manière d’y remédier serait de créer une société dans laquelle l’emprunt serait interdit. Ce serait un changement de paradigme profond. Voire un changement de civilisation.

En outre, et dans le cas ou l’emprunt ne soit pas interdit, comment faire pour les grands emprunts si chacun garde ses BTC sur son propre wallet ?

Comment emprunter des dizaines de milliards pour créer une ligne TGV, un parc de centrales nucléaires où aller chercher du pétrole en mer ? Faudra-t-il faire du porte-à-porte pour convaincre madame Michu de prêter son argent pour les dix prochaines années ?

Le bitcoin s’accommode mal d’une société complexe requérant beaucoup d’énergie et de très chères infrastructures pour fonctionner. Les choses pourraient éventuellement fonctionner en cas d’entrée en décroissance sur tous les fronts (et d’interdiction de l’emprunt).

Une autre voie serait de garder de l’élasticité monétaire (pour l’emprunt nécessaire à une civilisation complexe) en remplaçant tout simplement la monnaie centrale par le bitcoin.

Les banques centrales disparaîtraient. Il ne resterait que les banques qui continueront de faire leur travail, à savoir financer les projets qui tiennent la route. Plus de « bail-out ». Ce serait le retour du « bail-in ».

Mais alors, comme au dix-neuvième siècle aux États-Unis, les banques pourraient faire faillite et ruiner leurs clients ? Certes, mais chacun sera libre de déposer tout ou partie de ses BTC dans une banque pour engranger des intérêts.

Enfin, le bitcoin n’a peut-être pas besoin de devenir l’unique monnaie planétaire pour remplir son objectif. Il peut exister en tant que meilleure réserve de valeur que l’humanité ait connu et drainer une partie conséquente de la richesse mondiale. Surtout maintenant que le ponzi vacille sur fond de pic pétrolier…

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Nicolas T.

Reporting on Bitcoin, "the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy".

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