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Tornado : Le big bang de la régulation va déferler sur la crypto ?

lun 22 Août 2022 ▪ 13 min de lecture ▪ par Satosh

Si le gouvernement décidait de mener une guerre d’anéantissement avec la crypto, alors il aboutirait très certainement à la mort de celle-ci. L’attaque de l’OFAC contre le mixeur Tornado Cash augmente la probabilité d’un tel évènement dans les années à venir. Une telle mesure n’avait jamais été prise auparavant dans l’industrie crypto. Faut-il s’attendre à un big bang de la régulation qui viendrait asphyxier la crypto jusqu’à la rendre obsolète ?

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Tornado, un outil pour blanchir de l’argent ?

C’est au nom de la lutte contre le blanchiment d’argent que le bureau de contrôle des avoirs étrangers (OFAC) a décidé de sanctionner le mixeur Tornado Cash le 8 août. La plateforme aurait permis de blanchir près de 7 milliards de dollars depuis sa création en 2019. Surtout, il semblerait que le groupe Lazarus, un groupe de hackers liés à la Corée du Nord, aurait exploité cette solution pour faire disparaître 455 millions de dollars.

« Le Trésor sanctionne Tornado Cash, un mélangeur d’actifs virtuels, qui blanchit de l’argent provenant d’activités cybercriminelles », a déclaré le sous-secrétaire du Trésor pour le terrorisme et le renseignement financier, Brian E. Nelson.

Tornado est une solution de mixage qui fonctionne sur Ethereum et qui facilite les transactions anonymes. La plateforme reçoit une myriade de transactions et les mélange avant de les transmettre à leurs destinataires individuels. Il est extrêmement difficile de retrouver l’origine d’une transaction passée par Tornado. 

Bref, le gouvernement n’a pas apprécié l’idée que des gens (dont des criminels) utilisent des solutions pour augmenter leur niveau d’anonymat et réalisent des transactions à l’abri du radar de l’État.

Le précédent Uniswap

Il y a quelques mois, Uniswap, le DEX le plus populaire d’Ethereum avait supprimé l’accès à près d’une centaine de jetons sur l’interface utilisateur principale. Pourquoi ?

Parce que la plupart d’entre eux étaient des tokens susceptibles d’entraîner un risque juridique (options, actions, matières premières…). Même si l’intervention directe de la SEC dans ce revirement n’a toujours pas été démontrée, il s’agissait de l’une des premières fois où le gouvernement influençait une prise de décision dans la DeFi.

Le scénario Apocalypse Crypto

Le régulateur pourrait aller bien plus loin. Voici un scénario vraiment terrifiant qui est possible, quoique peu probable pour le moment.

Plutôt que d’interdire les transactions directes avec les wallets répertoriés par l’OFAC, le gouvernement pourrait exiger des exchanges qu’ils vérifient systématiquement lors d’une conversion crypto/fiat s’il y a une contamination par des pièces Tornado.

Par une simple analyse de chain, les exchanges pourraient se charger de vérifier que les pièces contaminées ne peuvent pas être converties en cash. Le gouvernement pourrait aussi décider que les comptes sur les exchanges soient bloqués jusqu’à ce que les utilisateurs transfèrent tous leurs tokens à une adresse du Trésor.

Une telle manoeuvre serait particulièrement efficace, car les exchanges seraient absolument contraints de participer à l’opération. Et pour éviter que les utilisateurs n’aient qu’à éviter les adresses mentionnées sur la liste de l’OFAC, le gouvernement aurait tout intérêt à appliquer de telles restrictions aux tokens contaminés par Tornado avant l’annonce publique.

N’oublions surtout pas que le géniteur de Tornado est Ethereum. Le gouvernement pourrait donc aller encore plus loin. Puisque Ethereum ne fonctionne pas sur le principe des UTXO comme Bitcoin, mais plutôt sur un système de comptes, toute entrée contaminée entache un compte entier. 

Tornado utilisait des preuves à divulgation nulle de connaissance. Tout comme ZCash et d’autres « privacy coins ». Le régulateur pourrait donc considérer que tous les comptes entachés par une privacy coin doit subir le même sort que Tornado.

Les exchanges développeraient des API on-chain anti-Tornado qui automatiseraient la vérification sur la liste de l’OFAC. Naturellement, personne ne voudrait échanger des tokens propres contre des jetons contaminés et qui tombent sous le radar du gouvernement. Ceux qui disposent de jetons contaminés chercheraient au contraire à s’en débarrasser le plus rapidement possible. Le prix aurait alors tendance à s’approcher dangereusement de zéro.

La DeFi n’est pas assez fongible sur Ethereum

Prêteriez-vous vos ETH si vous craignez d’être remboursé en ETH souillé ? Et si vos ETH propres finissaient par être dans le même pool ETH/USDC que des ETH souillés sur Uniswap ?

Ethereum n’est sans doute pas assez fongible pour ce genre d’activités. Bon, après tout, la DeFi n’est pas une grande perte. Elle ne repose pas (pour le moment) sur des mécanismes sains en cela que le rendement généré n’est pas lié à des activités commerciales réelles capables d’utiliser le capital pour susciter des gains de productivité.

Perdre la DeFi n’est donc pas dramatique. En revanche, perdre la fonction de médium transactionnel de la crypto est bien plus embêtant...

La crypto vient-elle de perdre sa fonction de paiement ?

Aucun commerçant ne prendra le risque d’accepter un paiement en monnaie « sale ».  L’époque actuelle où n’importe qui accepte n’importe quelle pièce est en train de disparaître. 

Les coûts nécessaires pour vérifier qu’une pièce est propre seraient bien trop importants.

La réponse de Circle à la décision de l’OFAC rend de ce fait les stablecoins centralisés moins désirables. Les stablecoins dollars centralisés ont maintenant une prime de risque qui leur est attachée.

Vers un hard fork ?

Même si une telle hypothèse est hautement improbable, un hard fork pourrait permettre de supprimer le compte Tornado et de faire en sorte que chaque transaction respecte la liste de l’OFAC. Après tout, Ethereum a déjà eu l’occasion de réaliser un hard fork suite au hack de the DAO. Néanmoins, Ethereum s’apparenterait alors de plus en plus à une blockchain à autorisation avec le gouvernement américain comme arbitre final. Beaucoup moins d’intérêt.

Mais la question fondamentale est : peut-on réellement échapper à la puissance du gouvernement américain et de ses superviseurs financiers ? Sans doute pas. C’est pourquoi, les blockchains doivent être les plus résilientes possible.

La privacy est aussi importante que la scalabilité

L’affaire Tornado nous montre bien que les questions de privacy sont au moins aussi importantes que celles de la scalabilité ou du niveau de décentralisation. On peut notamment regretter qu’Ethereum ne soit pas animé par les mêmes idéaux qui guident la communauté Bitcoin, réseau bien plus immunisé. Nous n’aurions alors pas cette discussion aujourd’hui.

Des réseaux privés confèrent une immunité de groupe. Il est possible que si Ethereum était bien plus privé qu’il ne l’est aujourd’hui, il aurait certes davantage suscité l’ire du gouvernement américain. Mais il serait aussi plus robuste face aux attaques. Quand on sait que l’État n’acceptera pas de perdre le moindre cm2 de terrain face à la crypto, il est absolument nécessaire d’avoir des fondations solides qui passent également par une couche de confidentialité.

Les développeurs de Monero l’ont compris et le réseau a récemment effectué sa 15e mise à jour pour accroître le niveau de confidentialité. Nous aurions tous intérêt à ce que ces développeurs rejoignent les écosystèmes Ethereum et Bitcoin pour apporter leur fine compréhension du combat politique dans un contexte asymétrique. 

Lorsque vous déclarez la guerre totale au dollar (protégé par 4000 têtes nucléaires), il faut avoir les moyens de ses ambitions. 

« Ceux qui font des révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau. Ce qui constitue une république, c’est la destruction de tout ce qui s’oppose à elle. » disait Saint-Just. 

Décentralisation, Scalabilité, Sécurité, Confidentialité.

Le gouvernement n’a qu’à créer des frictions

Ethereum et surtout Bitcoin (grâce au Proof of Work) ont un haut niveau de résistance à la censure. Mais les gouvernements n’ont pas à censurer les transactions directement sur la blockchain pour obtenir le même résultat. Ils peuvent simplement créer un cadre juridique extrêmement contraignant allant de la fiscalité confiscatoire à la fermeture des exchanges. Cela reste toujours plus simple que de s’accaparer des millions d’Asics.

En créant des frictions considérables, la crypto deviendrait rapidement obsolète pour 99% des mortels. L’interdiction des mixeurs comme Tornado crée encore plus de frictions. En plus de devoir tenir une comptabilité fiscale, il faut également s’assurer que l’on utilise une pièce propre. Or, l’adoption d’une technologie passe par une extrême facilité d’utilisation.

Nous sommes bien trop paresseux pour accepter de telles contraintes.

Fermer les exchanges, c’est tuer définitivement la crypto

Comme on l’a vu, nous avons besoin d’un réseau privé si l’on veut éviter le scénario d’une multiplication infernale des listes noires gouvernementales. Mais il faut admettre que si nous avions un réseau « nativement » confidentiel, l’État devrait réagir de manière spectaculaire.

Le gouvernement pourrait déclarer la crypto comme une menace pour la sécurité nationale. Après tout, si des hackers nord-coréens ou russes, ou si des terroristes utilisent les services de mixage pour blanchir de l’argent, le gouvernement américain aurait tout intérêt à dégainer l’intégralité de son arsenal réglementaire pour lutter contre la menace crypto. 

Cela pourrait passer par une action coercitive extraordinaire au niveau des exchanges. Dans ce cas, toute la crypto s’effondrerait pour finir à zéro. Lorsqu’un grand nombre de personnes détiennent un actif dont elles ne peuvent se débarrasser à aucun prix, cet actif est sans valeur et le restera.  Penser que les gens s’adapteront et iront sur des exchanges en P2P relève du vœu pieux. D’ailleurs, certains exchanges comme Kraken ont commencé à délister les privacy coins comme Monero, allant encore plus loin que les oukases du gouvernement.

Mais politiquement, oseraient-ils le faire ?

Dans les faits, il semble peu probable qu’une telle opération arrive. Surtout, avec une cour suprême aussi conservatrice qu’elle ne l’est aujourd’hui. En revanche, si bitcoin devenait un concurrent sérieux du dollar américain au point de représenter une menace existentielle pour la Fed, alors cela pourrait se mettre en place …

Demain, la régulation de Lightning ?

Les services qui offrent des solutions de garde de BTC sur Lightning comme Strike ou CashApp pourraient également être ciblés par de telles mesures. Les fournisseurs de nœuds pourraient être considérés comme des services de paiement réglementés nécessitant alors une authentification du client. Le réseau Lightning n’est pas une citadelle imprenable. Surtout quand on sait qu’il y a de nombreux hubs (des nœuds bien positionnés avec une forte liquidité et souvent gérés par des sociétés privées). Le gouvernement américain pourrait se pencher davantage sur la question dans les mois à venir. Heureusement, la communauté Bitcoin se prépare depuis des années à de telles attaques et sera sans doute en meilleure position pour répondre.

Quid de l’Europe ?

Dans la réglementation européenne MiCA qui entrera en vigueur en 2024, les transactions passées par des mixeurs seront considérées comme représentant un haut niveau de risque. Il est donc probable que les actifs soient plus difficiles à convertir en fiat sur les exchanges. Le signalement aux régulateurs financiers européen deviendra également systématique.

Les mesures prises par le régulateur financier Américain contre la solution de mixage Tornado révèlent l’ardente nécessité d’avoir un réseau fortement confidentiel. Bitcoin et dans une moindre mesure Ethereum ont déclaré la guerre au gouvernement en s’attaquant à son monopole de production monétaire. Rester désarmés n’est pas viable.


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Satosh

Chaque jour, j’essaie d’enrichir mes connaissances sur cette révolution qui permettra à l’humanité d’avancer dans sa conquête de liberté.

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