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Bitcoin et le drame des ordinals

mar 12 Déc 2023 ▪ 7 min de lecture ▪ par Nicolas T.
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Les ordinals sèment la zizanie depuis que la pool OCEAN lancée par Luke Dashjr et Jack Dorsey s’est mise à les filtrer.

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Qu’est-ce qu’un Ordinal ?

Il s’agit d’un nouveau mot popularisé pour décrire des jpeg soi-disant reliés à des satoshis via des « inscriptions ». Un genre de NFT immanent au Bitcoin créé il y a moins d’un an par le développeur Casey Rodarmor.

Ce tour de passe-passe se fait en numérotant les satoshi dans leur ordre de création (ordinal theory). Par exemple, les cinq milliards de satoshis du bloc genesis sont numérotés 0, 1, 2, 3… jusqu’à 4 999 999 999. Et ainsi de suite pour les blocs suivants.

Les inscriptions sont des données arbitraires reliées par convention aux satoshis. C’est-à-dire généralement des jpegs présentés comme des « artefacts numériques » qui viennent squatter pour toujours dans la blockchain.

Évidemment, ces satoshis n’existent pas vraiment. Le bitcoin est fongible. Les satoshis sont remis dans l’ordre virtuellement après chaque transaction par l’explorateur ordiscan qui cartographie conceptuellement un à un les satoshis. L’explorateur recense déjà plus de 47 millions d’inscriptions pesant en tout près de 14 Go.

Insérer des données arbitraires dans la blockchain ne date pas d’hier. Satoshi Nakamoto fut même le premier à le faire avec le fameux titre « The Times 03/Jan/2009 Chancellor on brink of second bailout for banks ». Mais il s’agit là de quelques octets. Un jpeg est des milliers de fois plus lourd que ça.

Cet abus d’espace n’est possible que depuis la soft fork SegWit.

SegWit

Ce soft fork est un lègue de la « Blocksize war » au terme de laquelle on décida sagement qu’une blockchain trop volumineuse signerait la fin de la décentralisation. Segwit fut un compromis.

Segregated Witness (SegWit) fait référence à un changement de format des transactions. La signature et les scripts sont désormais ségrégués dans une section appelée « witness » où la règle est qu’un octet ne pèse que 0,25 voctet (octet virtuel).

Cette ségrégation permet de bâtir des blocs pouvant peser jusqu’à 4 Mo sans enfreindre le consensus de 1 Mo maximum pour un bloc.

Notons également que la soft fork Taproot est venue supprimer certaines limites quant à la quantité de données pouvant être insérée dans les scripts (les « Opcodes »).

Les inscriptions ordinals utilisent trois Opcodes : OP_FALSE, OP_IF et OP_PUSH. Les données contenues dans OP_IF sont conservées, ce qui permet d’y insérer des ordinals pour la postérité.

Cela dit, le mempool (Bitcoin core) ignore les transactions pesant plus de 400 000 octets. Une transaction plus volumineuse peut toutefois être directement insérée par une pool. Dans ce cas, la limite est de 4Mo :

Chaque carré représente la taille d’une transaction à l’intérieur d’un bloc (bytes = octets)

Où est le problème ?

L’un des reproches faits aux ordinals est d’alourdir la blockchain. Les 14 Go d’inscriptions représentent près de 20 % des 80 Go ajoutés à la blockchain depuis le début des hostilités. Cette accumulation de crasse rend l’installation d’un nœud plus longue et plus chère.

Il faut se rendre compte qu’un nœud coute aujourd’hui entre 300 $ et 700 $ ! Et que télécharger une blockchain de 530 Go peut prendre des jours entiers dans certaines régions.

Il n’y a pas péril en la demeure, loin de là. Mais il n’en reste pas moins que les inscriptions sont une nuisance. Aucun nœud ne s’attendait à télécharger et relayer des montagnes de jpegs à cause de Taproot.

Le compte anonyme Volker a eu une belle image pour résumer cette affaire :

« Les inscriptions sont comme pomper de l’électricité à une compagnie de téléphone, ou de la pression à une compagnie des eaux. L’utilisation de ces réseaux d’une manière non conforme à sa conception relève au mieux de l’escroquerie, au pire d’une attaque irresponsable contre quelque chose d’essentiel. »

Le bitcoin est un réseau de paiement, pas un parking de jpegs. A Peer-to-peer Electronic JPEG Cash System. Certes, l’espace des blocs se vend naturellement au plus offrant, mais ne faisons pas non plus l’autruche.

Les ordinals, BRC-20 et autres rares sats exploitent une vulnérabilité via de d’ingénierie sociale capitalisant sur du FOMO et des pump & dump. Les inscriptions peuvent être perçues comme une attaque DoS financée par des armées de newbies manipulées par des scammers professionnels.

Si les ordinals sont le nouveau dogecoin, la hausse permanente des frais de transaction risque de rapidement en énerver plus d’un.

Fix the bug ?

Ce bug inattendu ne devrait pas être balayé d’un revers de main, comme si de rien n’était. Mais quoi faire ? Taproot n’est pas en cause. Cette mise à jour apporte de nombreux bienfaits.

Par exemple, les signatures Schnorr rendent possible d’agréger plusieurs clés et signatures en une seule. Il en résulte des transactions multisig moins volumineuses (donc moins chères) et plus discrètes. Elles facilitent en outre la vie des coordinateurs de CoinJoins et offusquent les ouvertures de canaux sur le Lightning Network.

Annuler SegWit n’est pas non plus une option vu qu’il s’agirait d’un Hard Fork que tout le monde voudrait bien s’épargner…

Certains proposent donc que les mineurs filtrent les inscriptions à partir du mempool. C’est ce que fait la pool OCEAN récemment lancée par Jack Dorsey et Luke Dashjr. Après tout, le mempool filtre déjà les transactions excédant 400 000 octets.

Certains crient à la censure. D’autres apprécient cette initiative contre ce parasitage qui sent bon l’attaque DoS. Les autres ont le c.. coincé entre deux chaises.

Soit dit en passant, OCEAN compte aussi mettre en place le protocole Stratum V2. Le but étant de rendre aux mineurs le pouvoir de sélectionner eux-mêmes les transactions.

C’est une très bonne nouvelle de retirer cette responsabilité aux pools qui seront tôt ou tard forcés à censurer des transactions normales. Peut-être est-il là, le véritable risque de censure…

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Nicolas T.

Reporting on Bitcoin, "the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy".

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