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Ils ont donc tué Ethereum (ETH) ?

lun 07 Nov 2022 ▪ 16 min de lecture ▪ par Satosh

Ethereum fait face à danger existentiel : le réseau est en train de perdre sa neutralité ! Près de 75 % des blocs construits avec l’implémentation MEV-Boost se plient aux règles de l’OFAC, c’est-à-dire aux sommations du gouvernement américain. Le passage au Proof-of-Stake a transformé en profondeur le système de consensus. Cette évolution du protocole a favorisé une forte centralisation. Les validateurs qui appliquent les sanctions de l’OFAC sont aujourd’hui majoritaires. Ethereum est-il en train de perdre définitivement sa qualité de résistance à la censure, qui est pourtant la proposition de valeur principale d’une blockchain ?

Ethereum

Comprendre la MEV sur Ethereum

Un validateur capable de définir l’ordre des transactions peut augmenter ses revenus liés au stacking en extrayant de la valeur supplémentaire. En possédant plus d’informations sur les flux monétaires au sein du réseau et ayant la capacité de modifier leur ordre de validation, il peut réaliser plus de bénéfices.

Le risque principal est qu’avec le temps, son influence ne cesse de croître, car il possède davantage de poids économique et est en mesure de dominer. Des sociétés comme Coinbase ou Binance, capables d’augmenter leurs revenus grâce à des algorithmes sophistiqués, pourraient attirer des foules de détenteurs d’ETH. Ethereum tomberait alors sous le contrôle de la société capable de garantir les meilleurs rendements.

Le MEV-Boost est né d’une bonne intention : démocratiser l’extraction du MEV.

Qu’est-ce que MEV-Boost ?

The Merge a eu lieu le 15 septembre et a indiscutablement favorisé l’essor de MEV-Boost. Le système MEV-boost dont tout le monde parle a justement été conçu pour limiter le risque de centralisation lié à l’exploitation de la MEV. Cette implémentation open source construite par Flashbots (une société basée aux US) introduit un marché concurrentiel lié à la construction des blocs. En quoi consiste-t-il exactement ?

Ce mécanisme permet de mesurer la MEV potentielle qui peut être extraite et cherche au maximum à la distribuer de manière égale à la majorité des validateurs. C’est une implémentation que les validateurs peuvent exécuter pour « externaliser le travail de production de blocs au plus offrant afin de maximiser leurs revenus en vendant de l’espace bloc à un marché de constructeurs ». Les validateurs qui exécutent MEV-Boost vendent de l’espace de blocs dans un marché ouvert et « soumis à la concurrence ».

Dès lors, aucun validateur ne peut continuer à augmenter ses revenus aux dépens des autres acteurs : le trésor de guerre est partagé.

Comment fonctionne le système MEV-boost ?

La nouvelle méthode de consensus adoptée par Ethereum a introduit une séparation des tâches pour favoriser une plus grande concurrence et une meilleure décentralisation en vue d’augmenter la résistance à la censure du réseau. Voici un lien pour en savoir plus sur la Proposer/Builder Separation (PBS).

Les chercheurs sont chargés de soumettre des « paquets » de transactions aux constructeurs de blocs. Les constructeurs forment alors des blocs qui contiennent un ordre de transaction ainsi qu’une rémunération destinée au validateur. Ils optimisent l’extraction de MEV, garantissent une distribution équitable des récompenses et transmettent ces blocs aux relais. Le relai regroupe les blocs de plusieurs constructeurs et identifie le bloc le plus rentable.

Les revenus supplémentaires liés au MEV sont alors partagés à l’ensemble des acteurs de la chaîne allant des chercheurs aux validateurs. L’utilisation de MEV-Boost peut augmenter les récompenses liées au stacking de plus de 60 %. C’est pourquoi on observe que la part de validateurs utilisant MEV-Boost ne cesse de croître.

Les relais et la censure sur Ethereum

Les relais ont une place essentielle dans ce marché de la validation des blocs sur Ethereum. Ce sont ces acteurs qui dictent le modèle de bloc avant de l’envoyer aux validateurs qui achèvent le processus.

Le problème est que certains relais censurent les transactions qui ont interagi avec un smart contract Tornado Cash afin de ne pas contrarier la sainte OFAC. Actuellement, on dénombre sept relais mev-boost. Sur ces 7 relais principaux, seulement 3 ne censurent pas les transactions conformément aux recommandations de l’OFAC.

Comment s’y prennent-ils pour censurer des transactions ? Ils filtrent tout simplement les transactions avant de les transmettre aux validateurs. « Toi, tu es conforme, toi aussi. Ah non, toi, tu es une méchante transaction passée par Tordado. Du balai ! Hors de mon bloc ! ».

Actuellement, près de 70 % des validateurs utilisent un relais qui applique les règles de l’OFAC. Pour rappel, l’OFAC (Office of Foreign Assets Control) est une agence américaine chargée d’appliquer des sanctions économiques décidées par le Trésor pour « protéger les intérêts des États-Unis. »

Comme nous l’expliquions dans cet article, la proposition de valeur principale (la seule ?) de la blockchain est d’offrir un réseau résistant à la censure. Dans tous les autres cas, il est souvent bien plus efficient d’utiliser une base de données classique.

Autrement dit, la blockchain idéale serait un système neutre capable de transférer de la valeur numérique. Elle offrirait la garantie que toutes les transactions, peu importe leur montant, leur origine ou leur destination peuvent être finalisées en étant incluses dans un bloc. Ceci, dans un temps relativement court. La théorie des jeux et les incitations économiques poussant les acteurs qui entretiennent le réseau à converger vers une seule chaîne dans laquelle aucune transaction n’a été censurée.

L’art de la censure sur Ethereum

À ce stade, on peut envisager deux types de censure : une censure au niveau des transactions et au niveau des blocs. Dans le premier cas, le censeur n’inclut tout simplement pas une transaction dans son bloc. Dans le second, il n’accepte pas d’ajouter son nouveau bloc aux anciens blocs parents « sales » qui incluent des transactions qui lui déplaisent : c’est le fork. Deux chaînes coexistent : la chaîne sale, contaminée par les transactions indésirables et la chaîne propre approuvée par les bureaucrates du Trésor.

Tant qu’il y a suffisamment d’acteurs honnêtes sur le réseau, la censure n’est que temporaire. Tôt ou tard, un agent honnête inclura la transaction dans un bloc, qui sera ajouté à la blockchain. L’utilisateur subit uniquement un retard plus ou moins long.

Mais lorsque suffisamment d’ennemis ont pris le contrôle du réseau et qu’ils représentent près de 51 % du pouvoir de vote, alors ils ont la possibilité de filtrer systématiquement les blocs afin d’exclure certaines transactions de la chaîne. La chaîne principale devient « compliant » et l’OFAC exulte.

C’est le drame.

Ethereum est donc tombé ?

Pas encore. Mais le risque est de nature existentiel et ne doit pas être sous-estimé : près de 75 % des blocs construits avec l’implémentation MEV-Boost se plient aux règles de l’OFAC. Néanmoins, comme nous venons de le voir il y a encore assez de validateurs honnêtes pour inclure dans leur bloc des transactions « indésirables ». La censure à ce stade ne représente qu’un retard dans la validation.

Lorsque la moitié des validateurs est « corrompue », la transaction « indésirable » est tout de même incluse dans un bloc sur deux. À mesure que la part des validateurs ennemis augmentera, le délai d’attente sera plus grand.

Au bout de quelques blocs, la probabilité qu’une transaction soit incluse augmente de manière géométrique si bien qu’aujourd’hui, il est presque sûr qu’une transaction Tornado Cash soit validée au bout du 6e ou 7e bloc, c’est-à-dire dans un délai très raisonnable.

Soyons donc clairs : à ce jour, on ne peut pas dire que le délai d’attente soit suffisamment grand pour qu’un utilisateur ait à souffrir d’une censure effective.

OFAC Compliant Block Visualisation

Le risque d’une censure généralisé ne doit néanmoins pas être exclu dans les mois/années à venir : nous vivons dans un monde hostile. C’est cette paranoïa qui a permis à des réseaux comme Bitcoin ou Ethereum de résister aux attaques (peu nombreuses pour l’instant). Si nous perdons la neutralité d’Ethereum, ce sera définitivement un échec.

Il ne faut donc pas se réjouir de voir une majorité honnête. Cette caractéristique ne garantit qu’une seule chose : qu’il n’y aura pas de forks, mais la censure peut continuer de s’opérer.

La fin d’un mythe

Sur Bitcoin, il est courant de considérer que la propriété de résistance à la censure découle naturellement du système des frais de transaction. En effet, lorsque des mineurs s’appliquent à censurer activement des transactions, les frais ont tendance à augmenter sur les transactions « indésirables ». Cette hausse crée un revenu supplémentaire pour les mineurs. Ces derniers étant des acteurs économiques rationnels cherchant à maximiser leur profit, le coût d’opportunité de censure continue d’augmenter.

Ces nouvelles perspectives de profit ont tendance à augmenter le niveau de hashrate si bien que le hashrate qui ne censure pas dépasse celui des censeurs. Sur Bitcoin, les frais de transaction permettent de protéger (plus ou moins) le réseau contre la censure. Ce n’est pas le cas des récompenses de blocs, puisque le censeur reçoit dans tous les cas le même niveau de revenu que les mineurs qui ne censurent pas les transactions. De plus, puisque les revenus issus des frais de transaction devraient un jour devenir principales sources de revenu des mineurs, cette propriété de résistance à la censure pourrait être d’autant plus vérifiée.

À l’inverse, le modèle de rémunération des validateurs est bien différent de Bitcoin, notamment suite à l’intégration de l’EIP-1559. Mais au-delà de ces particularités techniques, au-delà de la théorie du marché des frais, les validateurs/mineurs peuvent avoir intérêt à censurer des transactions.

Il peut être totalement rationnel pour ces acteurs de respecter la régulation et les semonces de l’OFAC, quitte à se priver de quelques frais de transaction supplémentaires. L’État est en effet puissant et conserve le monopole policier : il peut vous identifier et vous mettre en prison.

L’État, ce colosse

Ce qui est rationnel, ce n’est pas maximiser son revenu économique, c’est de maximiser ses chances de survie dans un environnement hostile. Dès lors qu’on intègre cette variable, la théorie des jeux pousse vers un autre équilibre, beaucoup plus instable que ce que prévoyait la théorie.

Par ailleurs, on ne peut pas tout attendre de l’altruisme. Ce n’est pas la respectabilité des twittos que recherchent les validateurs. C’est de maximiser leurs revenus sous contrainte de ne pas finir en prison.

Ce n’est donc pas pour la beauté du combat moral que des validateurs continueront d’être honnêtes et d’inclure toutes les transactions dans des blocs. Supplier les validateurs de ne pas utiliser des relais Mev-Boost qui censurent les transactions comme Flashbots ou Blocknative n’est pas une solution durable.

Espérons donc que des relais qui ne se soucient pas des oukases de l’OFAC ET qui soient plus compétitifs apparaissent rapidement afin de réduire la domination de Flashbots.

Ethereum, une chaîne réglementée vs Bitcoin, un protocole résistant à la censure ?

Ethereum résistant à la censure, c’est une révolution sociale et politique. Mais Ethereum compliant, c’est de la fintech. Ça reste intéressant, mais on perd toute l’excitation qui a animé des générations de cypherpunks.

Je pense sincèrement qu’Ethereum finira tôt ou tard par devenir « compliant ». Les acteurs de la finance traditionnelle auront alors les mains libres pour utiliser pleinement le réseau. Et les institutionnels ont beaucoup beaucoup d’argent. Ils s’en serviront pour améliorer certains de leurs process et automatiseront certaines tâches grâce à des smart contracts. Ethereum pourrait alors aussi devenir une fondation commune pour tokeniser tout un tas d’actifs illiquides : œuvres d’art, immobilier…

De la fintech.

Satoshi avait des ambitions plus grandes que d’optimiser les process financiers de JP Morgan.

Si Ethereum perd définitivement sa résistance à la censure, il est aussi possible que le prix de l’ETH s’envole. Ce séisme pourrait alors marquer le début du flippening. La résistance à la censure n’intéresse que les gens soumis à une forte coercition et les personnes pénétrées par l’idéal de la Liberté. Cela concerne un très petit nombre de personnes autrement dit.

Pour une blockchain exceptionnellement résistante à la censure

Les demi-révolutions sont systématiquement des échecs. Avoir une « blockchain » qui ne soit pas réellement résistante à la censure est un échec. La blockchain doit être exceptionnellement résistante à la censure, sinon elle finira tôt ou tard pas tomber. L’État est infiniment plus puissant qu’Ethereum ou Bitcoin. Par conséquent, si ces réseaux décentralisés ont des failles trop importantes, ils finiront dans le cimetière des protocoles obsolètes.

Ils sont encore jeunes, tendres et fragiles contrairement au Léviathan qui est vieux, puissant et riche. C’est une citadelle inexpugnable qu’il faut bâtir et ne jamais considérer que la « résistance à la censure » est acquise.

Pire encore, si nous perdons Ethereum et Bitcoin, alors l’État s’assurera d’une chute particulièrement sanglante. L’État est très vindicatif. Il investira des moyens colossaux pour éviter qu’une nouvelle tentative de construire un protocole résistant n’apparaisse. Il sera alors beaucoup (beaucoup) plus difficile de réessayer. L’histoire nous enseigne que s’en prendre directement ou indirectement au gouvernement est une activité hautement périlleuse.

Les révolutionnaires, (les développeurs Bitcoin, Ethereum, Monero réellement préoccupés par la résistance à la censure) seraient victimes d’aboulie. Dans le meilleur des cas, quand ils ne sont pas emprisonnés.

Être paranoïaque pour survivre

Bref, le but ultime est de modifier l’équilibre des forces avec le gouvernement. La suprême aspiration des passionnés de cryptos et de la Liberté. L’invention de Satoshi pourra être considérée comme réellement pertinente qu’à une condition. Qu’à la fin, l’État et les banques aient moins de pouvoir dans la production de la monnaie qu’en 2008.

Et cela ne peut passer que par la création d’un protocole exceptionnellement résistant à la censure.

« Ceux qui font des révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau. Ce qui constitue une république, c’est la destruction de tout ce qui s’oppose à elle », Saint-Just.

« Quel est le parti que la saine politique prescrit pour cimenter la République naissante ? C’est de graver profondément dans les cœurs le mépris de la royauté, et de frapper de stupeur tous les partisans du roi. La question fameuse qui vous occupe est décidée par ces seuls mots : Louis est détrôné par ses crimes ; Louis dénonçait le peuple français comme rebelle ; il a appelé, pour le châtier, les armes des tyrans ses confrères », Robespierre.

La résistance à la censure doit demeurer l’ultime aspiration des gens qui travaillent dans la crypto. Même si des développeurs Ethereum se penchent sérieusement sur la question et tentent de trouver des solutions à cette menace existentielle, il n’existe actuellement aucune méthode efficace et opérationnelle pour empêcher les validateurs de censurer des transactions. Des pistes comme l’UASF sont envisagées. Le temps presse, et Ethereum pourrait sérieusement basculer dans la censure totale. La menace est de taille, mais si Ethereum parvient à s’en sortir, le réseau gagnera en résilience et en antifragilité.

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Satosh

Chaque jour, j’essaie d’enrichir mes connaissances sur cette révolution qui permettra à l’humanité d’avancer dans sa conquête de liberté.

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