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Interview d'un Cypherpunk

sam 16 Mar 2024 ▪ 13 min de lecture ▪ par Nicolas T.
S'informer Decentralized Exchange (DEX)

Dans son Manifeste d’un Cypherpunk, Eric Hughes déclarait en 1993 : « À l’ère électronique, le droit à une vie privée est un élément essentiel d’une société libre et ouverte. La vie privée signifie être libre de se révéler au monde de manière sélective. Les cypherpunks défendent la vie privée grâce à la cryptographie, aux signatures numériques et à l’argent électronique. »

BITCOIN

Cointribune a interviewé l’un d’entre eux, au cœur de la Bohème. Lea Petrasova est co-fondatrice et CEO de Vexl, une application permettant de s’échanger des bitcoins sans KYC. « Comme prévu », aime-t-elle dire. Sont également co-fondateurs Pavol Rusnak et Marek Palatinus, les inventeurs du premier hardware wallet : Trezor.

Bonjour Léa, que veut dire « Vexl » ?

« Vexl » est un jeu de mots à partir de l’allemand « wechseln » qui veut dire « échanger ».

Son origine remonte à l’époque de l’URSS, lorsque chaque État satellite soviétique avait son réseau de marchands pour divers produits rares en provenance de l’Ouest, principalement des devises.

En Tchécoslovaquie, ils fréquentaient souvent les parkings près de la frontière allemande. D’où le surnom de « vekslaks ». Le nom « Vexl » rend hommage à ces acteurs de l’économie souterraine.

Vexl permet de faire la même chose, mais en utilisant le bitcoin.

Nous parlerons totalitarisme dans une minute, mais d’abord, Vexl . De quelle fonctionnalité êtes-vous le plus fier ?

Si l’on met de côté la superbe interface, je dirais notre système de réputation. Vexl vous permet d’échanger au sein de votre cercle social tout en respectant votre vie privée. Nous avons réussi la prouesse d’intégrer dans une application la réputation que nous avons dans le monde réel !

Cette réputation étant impossible à manipuler, chacun est incité à bien se comporter pendant la transaction.

On ne voit donc que les offres de nos amis et de leurs amis. Deux cercles. Correct ? Comment ça marche ?

Oui, vous pouvez voir les offres de vos contacts téléphoniques et de leurs contacts.

Nous avons passé beaucoup de temps à réfléchir à la manière de créer un tel réseau social. Réalisant qu’il était extrêmement difficile de créer un réseau ex nihilo, nous nous sommes appuyés sur un réseau déjà existant. Mais lequel choisir ?

Nous avons cherché un réseau universellement répandu et utilisé dans le monde entier. En sachant qu’il était essentiel pour notre système de réputation que les utilisateurs soient relativement proches.

Et sachant aussi que nous avions besoin d’un réseau qui ne disparaitrait pas de sitôt et présent aux quatre coins du monde. Les numéros de téléphone se sont révélés être le choix évident.

Comment est-ce que Vexl protège la vie privée de ses utilisateurs ?

Nous sommes tout à fait conscients des risques associés aux numéros de téléphone et c’est pourquoi nous avons consacré beaucoup de temps pour les atténuer. Et je suis très fière de notre solution.

De notre côté, dans notre « back-end », l’application se scinde en quatre parties isolées les unes des autres. La première gère votre compte, la seconde votre liste de contacts, la troisième les offres et la quatrième les conversations.

Chaque compartiment fonctionne de manière indépendante. Les informations ne convergent qu’une fois dans votre smartphone. Cette structure en silo alliée à la cryptographie asymétrique fait qu’il nous est technologiquement impossible de savoir ce que vous faites.

Nous ne savons pas ce que contiennent les offres, si vous en avez publié une, si vous avez communiqué avec quelqu’un ou si une transaction a eu lieu.

Votre application est donc gratuite, chiffrée et sans KYC. Quoi d’autre vous distingue de vos concurrents comme Hold Hold ?

Vexl est purement peer to peer. Aucun dépôt n’est nécessaire pour l’utiliser. Il n’y a pas de frais non plus. Nous ne sommes pas une entreprise à but lucratif, mais plutôt une application de mise en relation conçue de manière à préserver la vie privée de nos utilisateurs.

Je pense aussi que notre application est beaucoup plus sympathique. Il n’y a pas photo. L’expérience utilisateur est vraiment une réussite. J’ai toujours gardé à l’esprit en la concevant que ma tante devait pouvoir l’utiliser sans problème.

Vexl ne touche donc jamais aux bitcoins ou aux euros des utilisateurs. Cela devrait le rendre résistant à toute menace règlementaire. Pourtant, Apple l’a retiré de l’App Store. Pourquoi ?

Nous avons échangé avec Apple pendant des mois pour essayer de deviner quel était leur problème avec Vexl. Ils ont déclaré que « l’utilisation d’argent liquide est clairement imprudente ». Nous avons essayé d’expliquer que nous sommes en fait plus sûrs et plus privés que Craigslist ou Tinder, mais ils ont qualifié notre application « d’inappropriée pour l’App Store » avant de clore la conversation.

A vous de voir quelle réponse est la plus troublante…

Vous avez choisi de ne pas gérer de dépôts et d’inciter les utilisateurs à se rencontrer en personne. Quel est le guide des bonnes pratiques ? Utiliser le Lightning Network ?

Oui. L’application offre également l’option du virement bancaire, mais nous incitons les utilisateurs à se rencontrer en personne pour se faire de nouveaux amis plutôt que de laisser une trace numérique.

Quant à la rencontre en elle-même, c’est comme Tinder. Il vaut mieux se rencontrer plutôt que de tout faire en ligne, et de préférence dans un lieu public, comme un café.

Vérifiez tout de même la fiabilité de l’autre personne auprès de votre contact commun si jamais vous échangez des sommes importantes. Mais encore une fois, on ne rencontre que des personnes issues de son propre réseau social.

Combien d’utilisateurs avez-vous aujourd’hui ? Où est-ce que vous êtes populaires ?

Nous avons dépassé les 9 600 utilisateurs (et la croissance se poursuit !). Bien sûr, la plupart d’entre eux viennent de République tchèque et de Slovaquie. Mais nous constatons aussi une croissance significative en Allemagne, en Autriche, en Italie, en Suisse et au Royaume-Uni, principalement grâce aux meetups. Nous sommes toujours heureux de nous y rendre en personne ou de fournir des conseils aux organisateurs.

J’espère que l’un des organisateurs des 28 meetups en France vous offrira une excuse pour venir chez nous. Laissons de côté Vexl. Quel mot vient à l’esprit d’un cypherpunk en voyant ceci :

Digital Identity
Source : World Economic Forum

Dystopie.

Les identités numériques sont poussées partout. Pourquoi les Bill Gates et les Klaus Schwab de ce monde essaient de nous l’imposer ?

Je ne peux et ne veux pas évaluer les motivations des puissants. Je suis certaine qu’elles sont très diverses. Je considère ces tentatives de contrôle de la population comme des efforts systémiques pour contrer et amoindrir l’indépendance des individus qui est renforcée par les progrès rapides des technologies des deux dernières décennies, bitcoin inclus.

Car c’est exactement de cela qu’il s’agit : une tentative de reprendre et de maintenir le contrôle.

Le compte officiel européen @EUDigitalID tweete régulièrement sur l’euro numérique. Il semblerait que l’identification numérique en fera partie. Quel type de contrôle une CBDC pourrait-elle leur accorder ?

Je crois que le sentiment qui prévaut aujourd’hui est que nous n’avons jamais été aussi libres. Nous avons la possibilité de voyager presque partout, de commercer n’importe où, de déménager et repartir à zéro, etc. Mais est-ce vraiment si simple ?

En réalité, je pense que le niveau de surveillance et de contrôle de notre vie quotidienne et de nos actions est sans précédent. Le plus grand danger réside dans la manière dont ce contrôle est sournoisement introduit dans nos vies sous couvert de progrès, de confort et de commodité. C’est un phénomène subtil, dissimulé, mais omniprésent.

L’argent, ou plus précisément, les prix, sont un moyen de communication universel entre les peuples, les cultures et les sociétés. C’est un langage universel nous permettant d’échanger rapidement et efficacement des signaux sur ce qui est important, demandé et nécessaire. Ces échanges ouvrent la voie aux expériences, aux innovations, à la créativité et aux découvertes qui améliorent considérablement notre vie et la font progresser.

Cela nous amène à la principale préoccupation que j’ai à l’égard des CBDC. Si quelqu’un contrôle l’argent, il a effectivement le contrôle sur les communications susmentionnées. Imaginer un tel avenir est incroyablement alarmant.

C’est précisément la raison pour laquelle je considère le bitcoin – en particulier les bitcoins qui ne sont pas liés à l’identité d’une personne – comme une invention révolutionnaire. Il représente une forme d’argent qu’aucune entité ne peut contrôler. C’est la forme ultime de la monnaie qui nous offre les moyens de conserver notre liberté de progresser et d’évoluer en tant qu’humanité.

En somme, nous vivons dans une cage technologique dorée qui pourrait virer au totalitarisme 2.0 qu’incarnent les systèmes de « crédit social ». La cryptographie asymétrique est-elle notre principale arme pour défendre notre liberté ?

La cryptographie asymétrique joue un rôle important, principalement dans nos communications en ligne. Cependant, il est important de ne pas négliger d’autres technologies qui ne nous viennent pas immédiatement à l’esprit. Il s’agit notamment des technologies intégrées dans notre vie quotidienne, telles que les informations que nous permettons à nos téléphones portables ou à nos navigateurs internet de suivre.

Il convient également de prendre en considération des actes aussi simples que de payer en liquide, dissimuler son nom et son adresse (si possible) en utilisant un service proxy pour ses achats en ligne. Vous êtes-vous déjà demandé s’il était vraiment nécessaire de saisir votre nom et votre véritable adresse lorsque vous commandez quelque chose en ligne ?

Il faut vraiment prendre le temps de réfléchir à ces traces numériques que l’on laisse derrière soi. Il se peut dans de nombreux cas que vous n’ayez pas besoin de fournir ces informations.

Qu’est-ce qui est le plus préoccupant à propos des données que nous laissons derrière nous à cause des cookies, des données de géolocalisation ou des historiques d’achat ?

Pour moi, l’aspect le plus préoccupant de la collecte de nos données numériques est leur indélébilité. Internet n’oublie jamais. Nous révélons pour toujours ce qui est en essence une base de données historique de nos vies et de nos personnalités. Nous renonçons à contrôler qui se sert de ces données et à quelles fins. Et regardez autour de vous, le monde évolue si vite que nous n’avons aucune chance de le deviner.

Nous pourrions citer la firme Cambridge Analytica qui a utilisé les données de Facebook pour cibler les électeurs indécis lors de l’élection américaine de 2016. Quelles autres utilisations dangereuses et contraires à l’éthique devrions-nous craindre ?

Beaucoup de choses ont été dites sur la manière dont nos données sont – et peuvent être – exploitées de manière contraire à l’éthique. Ce que nous n’abordons pas assez, selon moi, c’est le fait que nos enfants seront la première génération dont les parents auront cédé (et rendu largement accessibles) autant de données sensibles.

Imaginez être soumis au profilage social, à la surveillance ou à la cancel culture simplement en raison de vos liens avec les profils de votre famille ou de vos amis. C’est un niveau de contrôle de la population absolument sans précédent. Avec le développement rapide de l’IA, l’avenir nous réserve des défis que les premiers cypherpunks n’auraient même pas pu imaginer à leur époque.

Merci d’avoir pris le temps pour nos lecteurs Lea. Une recommandation de livre pour finir ?

Pour ceux que cela intéresse, je recommande toujours les livres de Paul Rosenberg, comme « Lodging of Wayfaring Men » ou « Breaking Dawn ». Ces deux ouvrages ont profondément influencé non seulement ma vie personnelle, mais aussi mon travail. En particulier, « Lodging » m’a profondément inspiré pendant le développement de Vexl.

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Nicolas T.

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