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« Je prédis qu'en 2030, les conditions de vie seront 4 à 8 fois celles de 1930 »

jeu 27 Oct 2022 ▪ 15 min de lecture ▪ par Thomas A.

En 1930, le célèbre économiste John Maynard Keynes (1883-1946) publie un court essai resté dans l’oubli de la postérité. Ces pages sont intitulées « perspectives économiques pour nos petits enfants ». Bien que son ouvrage soit bref, l’intensité de sa vision n’en demeure pas moins troublante. Premièrement, la prévision de John Maynard Keynes sur le niveau de vie actuel de nos sociétés s’est révélée exacte. Mais par ailleurs, il entrevoyait plus que personne un monde où les codes moraux allaient se relâcher. Dans ce monde de 2030, l’amour de l’argent ne serait plus qu’une illusion et le contrôle de l’État la norme. Il avait entrevu le monde de 2030 avec une grande précision… Cette prévision est d’autant plus pertinente que le contexte économique actuel invite à rappeler la trajectoire longue des économies.

JMK

Dans notre publication précédente, nous avions par exemple démontré l’existence d’un lien direct entre démographie et innovation. Il apparaissait que le succès du marché des cryptomonnaies, par exemple, était corrélé à l’accroissement démographique. Adoption des cryptomonnaies : Quelles conditions ? Aussi troublant qu’il y paraisse, les écrits parfois centenaires des économistes sont plus exacts sur la description du présent que la plupart des textes contemporains…

1930 à 2030 : multiplication du niveau de vie !

« Je prédis que d’ici cent ans [en 2030], les conditions de vie des pays progressistes seront entre 4 et 8 fois supérieures à celles d’aujourd’hui. »

En 1930, le célèbre économiste John Maynard Keynes écrivait pour les petits-enfants de 2030. Il prédisait que le niveau de vie serait entre 4 fois et 8 fois supérieur au niveau de vie de son époque. C’est-à-dire une prévision médiane d’une multiplication du niveau de vie au Royaume-Uni de 6 en l’espace d’un siècle… Cette prévision paraît d’autant plus surprenante que John Maynard Keynes avait une sainte horreur du long terme. Mais cette prévision fut d’une grande pertinence. Sur la période 1930-1920, le niveau de vie mesuré par le revenu par habitant au Royaume-Uni a été multiplié par 6… ce qui correspond précisément à la suggestion énoncée par Keynes.

La trajectoire des civilisations

Un raisonnement construit menait la prévision de l’économiste, il y a de cela 93 ans. En effet, Keynes rappelait avant tout le rôle de l’accumulation du capital, sur laquelle nous reviendrons. Mais l’exactitude la prévision de Keynes reposait sur la condition que le taux de croissance à long terme de l’économie observé depuis le début du XXe siècle serait certainement amené à se maintenir dans l’avenir.

Entre 1900 et 1930, la croissance moyenne du PIB au Royaume-Uni fut de 1,1 %. De même, la richesse du Royaume-Uni entre 1800 et 1900 a été multipliée par 7,35. Et puis, entre 1900 et 2000, cette richesse a été de nouveau multipliée par 6,63. L’idée d’après laquelle la croissance est plus importante ces dernières décennies que dans le reste de l’Histoire moderne est fausse. Au contraire, il y a une constance historique dans le taux de croissance observé depuis un siècle…

Graphique montrant la moyenne exponentielle sur 100 ans du taux de croissance du PIB pour le Royaume-Uni. Ce graphique permet d’avoir le taux de croissance à très long terme de l’économie. On observe que ce taux plafonne autour de 2 % depuis 1900.

L’Histoire du taux de croissance à long terme des économies est une histoire complexe. Cependant, on observe que l’économie au cours des siècles réagit en « plateaux »… L’apparition de technologies diverses permet à l’économie d’atteindre en l’espace de quelques décennies un plateau de croissance plus élevé. Ce plateau de croissance dure 150 à 200 ans en général. Enfin, on assiste soit à un effondrement de la croissance, soit à un nouveau plateau de croissance. Depuis 1900, le taux de croissance moyen sur les 100 dernières années s’est stabilisé autour de +2 % environ. Le dernier plateau de croissance moyenne était de +0,5 % an entre le 1550 et 1750. Ce plateau a permis de générer une accumulation du capital à l’origine du Capitalisme contemporain.

La disparition des codes moraux selon Keynes

« Lorsque l’accumulation de richesses ne sera plus d’une haute importance sociale, il y aura de grands changements dans le code moral. […] L’amour de l’argent comme une possession sera reconnu pour ce qu’il est : une morbidité quelque peu dégoûtante […]. »

À la lecture de ces mots, on pressentait déjà chez Keynes l’intuition d’une redistribution des richesses considérables. En la matière, de grands changements ont eu lieu en un siècle. Les dépenses sociales en France représentaient un peu plus de 1 % de la richesse en 1930… C’est près du tiers du PIB aujourd’hui ! Le fait que l’impératif économique ne soit précisément plus un impératif aujourd’hui est une caractéristique énoncée par Keynes en 1930. L’enrichissement des pays permis par le Capitalisme génère inexorablement des questions sur la distribution des surplus. De fait, on peut accorder une partie de la stagnation du taux de croissance moyen depuis un siècle à la réduction des heures de travail. Mais la question de l’abolition des codes moraux nous amène à une réflexion plus profonde…

Si la disparition de la tradition, et de millénaires de pratiques et de croyances religieuses, est une caractéristique de l’amélioration du niveau de vie, c’est que loisir occupe une plus grande place. Le loisir est le symptôme le plus criant de l’amnésie collective des peuples… Réciproquement, c’est l’amnésie et le loisir qui permet l’accroissement des pouvoirs de l’État et le contrôle des populations. Keynes avait énoncé 4 conditions pour atteindre sa prévision : la capacité « de notre pouvoir à contrôler les populations », notre détermination à éviter les guerres, le rôle de la science, et enfin le taux d’accumulation fixé par la marge entre production et consommation. Par cela même, tout accroissement de la consommation à court terme peut nuire au potentiel de croissance à long terme.

Les risques de la disparition des codes moraux

Malgré tout, Keynes n’était pas sans émettre quelques inquiétudes face à cette projection… « Pourtant, j’appréhende le rajustement des habitudes et des instincts de l’homme ordinaire, ancrés en lui depuis d’innombrables générations, qu’on pourrait lui demander d’abandonner d’ici quelques décennies. […] je pense qu’il n’existe aucun pays ni aucune personne qui puisse attendre avec impatience l’ère du loisir et de l’abondance sans crainte. »

Du reste, on ne sait pas quelles étaient les prévisions de Keynes pour l’après 2030. On sait seulement qu’il a émis l’idée que l’innovation pourrait encore s’accentuer, mais ses réserves étaient trop grandes pour statuer.

Keynes et la Tradition

« À une certaine époque, avant l’aube de l’Histoire, peut-être même pendant l’une des pauses agréables avant le dernier âge de glace, il y a dû y avoir une ère de progrès et d’inventions comparable à celle que nous connaissons aujourd’hui. »

Cette phrase tirée de l’essai de John Marnard Keynes a un sens caché, plus profond et plus traditionnel qu’on ne peut le penser a priori. Le sens profond de son propos n’est pas sans faire écho aux thèses de certains de ses contemporains. L’idée que l’Humanité puisse être bien antérieure à ce que suggéraient les scientifiques du XIXe siècle circulait dans les pensées de l’époque. La réciproque de cette affirmation est que le progrès ne serait pas propre à la modernité. Au contraire, le monde serait issu, selon le terme dédié, d’une forme de symbiose avec une sorte de Tradition (« avant le dernier âge de glace »).

Portrait de René Guénon par Igor Kordey, dans le tome 35 de L’Histoire secrète.

De plus, Keynes rappelle à travers ces mots le fait que la logique de chocs technologiques n’est pas nouvelle. De fait, l’émergence et la chute des civilisations, et dans le temps long, la complexification des sociétés, est un processus cyclique. Il voit la révolution moderne comme une révolution induite par l’accumulation du capital. Le développement de nouvelles technologies depuis la Renaissance est un des principaux facteurs qui ont impulsé le cycle vertueux de l’innovation. L’innovation augmente la productivité et le rendement, ce qui incite les agents à accumuler du capital. La symbiose du travail et du capital mène toujours au triomphe du progrès technique qui dégage une croissance durable.

Bien sûr, il est spéculatif d’émettre l’idée que Keynes aurait eu accès de près ou de loin aux écrits d’auteurs comme René Guénon. Cependant, la révolution technologique du début du XXe siècle, les découvertes historiques et scientifiques, posaient nécessairement des questions sur la trajectoire à long terme des économies.

À long terme, Keynes est mort…

Nous avons vu que l’accumulation du capital a mené à l’enrichissement des sociétés. Aussi, nous avons vu que l’enrichissement des sociétés a mené au divertissement et au contrôle des sociétés… Et la cause du succès du Capitalisme, l’enrichissement des peuples, devait être la cause de son déclin… De même, le fait que nous vivons aujourd’hui précisément dans un idéal keynésien est la cause de l’inefficience des théories originelles de Keynes…

Selon la célèbre formule, John Maynard Keynes aurait déclaré, « à long terme, nous serons tous morts », ce à quoi le libéral Ludwig Von Mises (1881-1973) se serait empressé de répondre « brûler ses meubles n’est pas forcément une bonne méthode pour chauffer son logis ». Le premier des deux économistes, John Maynard Keynes, a évolué dans un environnement de fonctionnaires, dans une époque où l’URSS triomphait, et où la crise de 1929 avait remis en cause le bien-fondé du capitalisme… Et effectivement, la différence entre keynésiens et libéraux tient essentiellement à l’importance philosophique que l’on accorde au temps.

Effritement du modèle keynésien ?

Dans la théorie keynésienne, le fonctionnement du modèle d’accroissement des dépenses publiques est valide sous plusieurs conditions, qui pour la plupart ne sont plus respectées…

  • L’efficacité du modèle keynésien suppose des dépenses publiques préalablement faibles. De même, la présence d’une fiscalité préalablement faible (peu d’impôts) est une condition d’efficacité du modèle keynésien. En 2021 en France, les dépenses publiques étaient de 60 % au PIB.
  • De plus, ce modèle suppose que les ménages ont des revenus idéalement faibles. Un niveau de revenu plus faible permet une plus grande consommation.
  • Par ailleurs, une exigence majeure de la politique keynésienne est l’absence de déficit commercial. Or, dans le cas de la France, ce déficit commercial représente aujourd’hui plus de 5 % de son PIB.
  • L’absence d’inflation et d’instabilité du taux d’intérêt. Ces conditions ne sont également plus remplies aujourd’hui.

De fait, l’efficacité des politiques keynésienne a décru au cours du temps. On se retrouve aujourd’hui avec des États surendettés dont les budgets de remboursement atteignent des sommets. Le succès du keynésianisme devait aussi être la cause de son déclin… selon l’expression de Charles Gave, « à long terme, keynes est mort ».

En conclusion

Dès lors, si l’enrichissement des sociétés est accompli. Si mécaniquement le divertissement des sociétés, et l’abolition des codes moraux est accompli ou presque… quel sera la finalité des sociétés après 2030 ?

À cette question, le célèbre économiste John Maynard Keynes est mort pour y répondre. Mais 93 ans après sa prévision originelle, on peut légitimement saluer sa vision prémonitoire de la société du divertissement et du contrôle. Si les petits enfants du début du XXe siècle vivent aujourd’hui dans un monde plus prospère, ils vivent aussi dans un monde plus insouciant. Le loisir est devenu la norme, et le travail est devenu l’exception. La tradition est devenue plus lointaine à mesure que la liberté de rester ignorant de la tradition s’est accrue.

Dans ces conditions, on peut imaginer deux scénarios dans l’avenir. Tout d’abord, on peut supposer, comme le suggère l’analyse historique, qu’une nouvelle rupture de croissance prenne effet quelque part autour de 2100. Dans ce cas, cette rupture suggèrerait de nouvelles innovations majeures dans l’avenir. À l’inverse, on laissera la perspective d’une société stagnante, voire déclinante et refusant la technologie. L’empereur Vespasien, alors proche de l’apogée de l’Empire romain, n’hésitait pas à faire exécuter les personnes qui inventaient des machines novatrices, de peur que le chômage qui découle de l’innovation génère de la croissance et révolte le peuple (Suétone, Vies des douze Césars). Le fait que les mentalités actuelles réfutent graduellement l’innovation et le progrès pourrait être annonciateur de la suite historique de nos sociétés.

On peut espérer que le taux de croissance moyen se maintienne autour de 2 % jusqu’à la fin du siècle. De fait, le niveau de vie de 2100 serait 4 à 5 fois plus élevé que le niveau de vie actuel. Mais on ne sait pas véritablement quand le modèle de contrôle des populations ou de fuite devant la technologie pourrait provoquer une crise de croissance. On sait juste que ce risque guette nos sociétés.

Dans ce cadre, la technologie est l’argument essentiel d’une économie prospère à l’avenir. On ne conçoit pas de monde prospère dans lequel la technologie serait absente.

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Thomas A.

Auteur de plusieurs livres, rédacteur économique et financier sur plusieurs sites, je noue depuis de nombreuses années une véritable passion pour l'analyse et l'étude des marchés et de l'économie.

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