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Le bitcoin est-il "libertarien" ?

mer 28 Juin 2023 ▪ 12 min de lecture ▪ par Thomas A.
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En 2022, on estime à 425 millions le nombre d’utilisateurs de cryptomonnaies dans le monde ! C’est-à-dire que 5 % de l’Humanité environ possède donc déjà des cryptomonnaies. L’utilisation des cryptomonnaies est effective, et parfois courante, dans la vie de beaucoup de personnes. Mais les cryptomonnaies peuvent aussi être envisagées dans leur caractère spéculatif. C’est dans ce contexte que ces dernières années, un certain nombre de critiques sont apparues pour dénoncer le caractère prétendument « libertarien » du bitcoin (BTC). Décryptage des tentatives de politisation du bitcoin.

Libertarian and bitcoin

Qu’est-ce que le libertarianisme ?

Le libertarianisme est, dans sa forme politique, essentiellement présent aux Etats-Unis. Le libertarianisme repose sur l’assurance maximale des libertés individuelles en s’opposant à la coercition et à l’assujettissement. En clair, les libertariens défendent un idéal de liberté fondé sur la propriété privée et le respect absolu des droits individuels et ils s’opposent à l’intervention étatique systématique. Ils se diffèrent des libéraux (plus « à gauche ») dont l’esprit original se serait dilué au XXe siècle.

Par conséquent, il est intéressant de noter que l’émergence du libertarianisme se fait surtout à la fin du XXe siècle. Cela se produit parallèlement à l’expansion du néolibéralisme, parfois considéré par les libertariens comme un « faux » libéralisme de par le maintien de déficits publics, l’opposition au « laissez-faire » avec un cadre règlementaire toujours étendu, etc…

En outre, le libertarianisme rejoint parfois sous certains aspects les fondements de l’école autrichienne. Et c’est sur ce point que le lien avec le bitcoin (BTC) émerge.

Un projet de concurrence monétaire ?

L’école autrichienne d’économie regroupe des auteurs célèbres comme Mises ou encore Friedrich Hayek. Friedrich Hayek est l’auteur d’un livre intitulé « Denationalisation of money » (1976) qui prône la fin du monopole monétaire, c’est-à-dire la fin de l’existence d’une monnaie unique. L‘objectif de la concurrence monétaire est, via la confrontation d’une multitude de monnaies privées, d’assurer une grande efficacité dans les mécanismes d’ajustements économiques. Cela permettrait, d’après Friedrich Hayek, d’atteindre une meilleure stabilité des prix. De même, cela éviterait les jugements monétaires arbitraires de la part des Etats et des banques centrales.

L’idée de créer sa propre monnaie pour le bien économique est donc théoriquement formulée très tôt. On ne saura jamais si cette théorie a inspiré le créateur du bitcoin (BTC). Malgré tout, il est clair que Friedrich Hayek a prophétisé l’émergence des cryptomonnaies. Il pensait que le maintien du monopole monétaire était une menace pour la liberté individuelle. Face à cela, il prédisait qu’on allait assister à l’émergence de monnaies sous une forme nouvelle.

Bitcoin n’est pas un projet politique…

La genèse du bitcoin est la seule à fournir des éléments concrets de réponse. Dans le papier original du créateur du bitcoin, rien n’indique a priori une volonté politique. Il s’agit simplement d’une volonté de dépasser le système financier traditionnel.

« Une version purement peer-to-peer de la monnaie électronique permettrait d’envoyer des paiements en ligne directement d’une partie à l’autre sans passer par une institution financière. […] Bien que le système [financier] fonctionne assez bien pour la plupart des transactions, il souffre toujours des faiblesses inhérentes au modèle basé sur la confiance. Les transactions totalement irréversibles ne sont pas vraiment possibles, car les institutions financières ne peuvent éviter la médiation des litiges. »

Satoshi Nakamoto, 2008 | White Paper du bitcoin

Néanmoins, la création de la Bitcoin Fundation très tôt en 2012 montre une proximité entre cette première grande association promouvant le bitcoin et les libertariens. Mais le bitcoin rejoint aussi les aspirations d’un certain nombre de crypto-anarchistes. Dans la logique originelle du bitcoin, s’opposer au bitcoin revient à se montrer favorable au système financier traditionnel. Ceux qui critiquent le bitcoin aujourd’hui pour son caractère trop « libéral » se montreraient donc favorables au système financier traditionnel.

Par conséquent, rien n’indique que le bitcoin en lui-même a une finalité politique. En revanche, le bitcoin a donné lieu à certaines utilisations qui ont séduit très tôt les libertariens. Il est donc a priori faux d’affirmer que le bitcoin est libertarien, il en revêt seulement certaines formes à posteriori.

Si les libertariens ont contribué à la diffusion du bitcoin, il est clair que les utilisateurs actuels du bitcoin ignorent totalement cela. Par conséquent, le bitcoin n’est pas proprement politique. Nous devons par ailleurs souligner que le libertarianisme se fonde sur la totale liberté d’opinion et d’expression, et par suite, l’utilisation du bitcoin est libre pour l’ensemble des courants idéologiques. De par sa définition même, le « libertarianisme monétaire » s’oppose à la coercition et ne peut donc pas être perçu comme un « projet politique ». Les critiques envers le bitcoin visent donc essentiellement à le politiser.

« Cryptocommunisme »

Nous avons donc vu que la volonté de politiser le bitcoin venait d’une volonté de cliver pour mieux freiner l’expansion du bitcoin. Bien sûr, il est indéniable que le bitcoin répond à des aspirations libérales, mais dans l’état actuel des choses il n’en est pas ainsi.

Certains commentateurs se sont même prêtés à dire que le bitcoin était « d’extrême droite », ce qui ne paraît pas fondé au regard des éléments énoncés.

Le bitcoin est donc avant tout composé de la diversité de ses utilisateurs. Certains auteurs ont même souligné l’existence d’un courant « cryptocomunniste » avec l’émergence des processus décentralisés. Le bitcoin rejoindrait alors aussi les aspirations des marxistes qui voient la monnaie étatique comme un instrument de domination. C’est une preuve supplémentaire qu’un bitcoin proprement libertarien est une idée absurde. De surcroît, le bitcoin rejoint les aspirations des anarchistes de « gauche » et de « droite ». Dans tous les cas, percevoir le bitcoin comme quelque chose de politique n’est pas pertinent, ni avec sa création, ni avec son utilisation actuelle.

« Populisme financier »

Pour d’autres auteurs critiques encore, les cryptomonnaies seraient vouées à disparaître. Les cryptomonnaies n’apporteraient pas les innovations à la société qu’elles prétendent et il s’agirait d’un phénomène spéculatif. Néanmoins, l’évolution du bitcoin ces dernières années contredit cette vision des choses. Le nombre d’utilisateurs de cryptomonnaies augmente et le bitcoin s’est « financiarisé ». C’est-à-dire que l’hypothèse la plus probable est que les cryptomonnaies s’intègrent progressivement, de par la démocratisation, à la complexité du système déjà existant.

Par conséquent, certains voient les cryptomonnaies comme étant déjà une partie du système financier. Les rumeurs de manipulation des cours par des acteurs du système financier se répandent. Effectivement, alors que les grandes banques américaines rejetaient parfois fermement l’idée du bitcoin en 2017, elles semblent désormais y adhérer. De multiples projets se développent également avec la technologie sous-jacente aux cryptomonnaies, c’est-à-dire la blockchain.

Des entreprises ont déjà élaboré de la tokenisation d’obligations par exemple. Les liens entre l’univers des cryptomonnaies et la finance traditionnelle sont désormais constants et renforcés. Cela peut s’inscrire à l’encontre de l’esprit initial des cryptomonnaies. Mais là encore, les critiques y voient un « populisme financier » radical et dévastateur… Ce qui n’est pas rationnel et ne constitue pas le seul aspect actuel des cryptomonnaies.

Un enjeu de croissance et de pauvreté… oublié

En 2017, la banque mondiale établissait que 30 % des adultes de la population mondiale n’ont pas de compte bancaire. Néanmoins, plus de deux tiers des adultes sans compte bancaire disposent d’un smartphone. Plus d’un milliard de personnes seraient donc encore sans compte bancaire alors que plus de 600 millions d’entre elles disposent d’un smartphone !

Les chiffres sont plus éloquents encore quand on sait que 85 % des paiements se font en cash sur la planète, et qu’une transaction bancaire met en moyenne 3 à 5 jours à s’achever. L’accès aux comptes bancaires est ainsi très aisée en Occident, ou généralement plus de 90 % de la population adulte dispose d’un compte bancaire. Mais dans les pays comme le Niger ou les Philippines, moins de 20 % de la population adulte dispose d’un compte bancaire.

La première solution à ce problème serait de favoriser le développement d’un réseau bancaire dans ces pays. Mais les ressources financières, humaines et techniques manquent. Car un réseau bancaire suppose déjà un niveau de développement technologique et humain suffisant. Cette solution mettrait plusieurs décennies à se concrétiser et elle pourrait déjà être dépassée au moment venu.

La deuxième solution est fournie par les cryptomonnaies, dont l’adoption dans certains de ces pays est déjà très forte. Les cryptomonnaies sont accessibles avec un simple smartphone et sont généralement plus rapides que les transactions bancaires traditionnelles. Un précédent article nous avait également mené à démontrer statistiquement que le succès des cryptomonnaies dépendait assez fortement de la croissance démographique à long terme. Les critiques ouvertes contre les cryptomonnaies ne traitent jamais de cet aspect pourtant central.

En conclusion

Le bitcoin est un outil librement créé, librement diffusé, et librement accepté ou rejeté. En ce sens, le bitcoin n’est en aucun cas un projet qui viserait à imposer aux individus une pratique ou une croyance. Le bitcoin naît simplement de la volonté de créer un nouveau système d’échange. Malgré tout, il est clair que le bitcoin a très tôt attiré l’attention des libertariens. Le bitcoin paraît aussi être la manifestation de la prophétie de Friedrich Hayek relative au besoin imminent de monnaies indépendantes.

De fait, il est clair que le bitcoin rassemble une diversité de courants idéologiques. Par ailleurs, la plupart des 425 millions d’utilisateurs de cryptomonnaies n’ont pas conscience de ces courants idéologiques. Il est donc absurde d’affirmer que le bitcoin est un « projet politique », car ni dans sa création, ni dans sa forme actuelle, on ne peut trouver des éléments idéologiques. C’est plutôt la manière dont les gens perçoivent le bitcoin (positivement ou négativement) qui induit la politisation de ce dernier.

Car à en croire les critiques, le bitcoin serait à la fois libertarien, financier, anarcho-capitaliste, anarcho-communiste, cyberpunk, etc… La démocratisation du bitcoin lui donne en effet un aspect politique et financier. Mais le fait est que les cryptomonnaies poursuivent leur diffusion, et sans oublier les abus du marché, ce dernier se maintient au grès des tempêtes. La démocratisation des cryptomonnaies est aussi un enjeu global pour la pauvreté et l’accès aux réseaux économiques.

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Thomas A.

Auteur de plusieurs livres, rédacteur économique et financier sur plusieurs sites, je noue depuis de nombreuses années une véritable passion pour l'analyse et l'étude des marchés et de l'économie.

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