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Métaverse et crédit social : Le projet de la Chine pour s’imposer dans les mondes virtuels

ven 27 Oct 2023 ▪ 7 min de lecture ▪ par Luc Jose A.
S'informer Metaverse

Connu pour sa réticence envers les cryptomonnaies, l’État chinois manifeste un intérêt croissant pour le concept de métaverse et ses différentes applications. Il souhaite désormais étendre son contrôle dans ce monde virtuel afin, dit-il, de réprimer les comportements sociaux indésirables. C’est donc conformément à cet objectif que Pékin a fait une suggestion à un organisme des Nations Unies pour qu’un mécanisme de type crédit social soit appliqué au métaverse. Cette proposition, qui ressemble étrangement au système de crédit social chinois existant, soulève déjà de nombreuses inquiétudes. Mais d’abord, comment les mondes virtuels comme le métaverse pourraient-ils suivre le modèle chinois ? Quels sont les risques ? Décryptage.

Illustration du métaverse

Le crédit social ou le système de surveillance du gouvernement chinois

Le crédit social est un mécanisme de surveillance et d’évaluation des citoyens chinois élaboré sur mesure par le gouvernement, qui attribue des notes et des classements à ces derniers en fonction de la « confiance » qu’on peut leur accorder. Ces éléments sont ensuite utilisés pour décider de l’éligibilité de ces citoyens à diverses activités et privilèges. Ils peuvent également déterminer si un individu doit être sanctionné pour un comportement jugé indésirable.

Par exemple, les personnes recevant de mauvaises notes peuvent se voir interdire l’achat de billets d’avion ou de train, l’acquisition de propriétés immobilières ou encore l’accès à certains établissements tels que des restaurants ou des hôtels. Cela s’est déjà produit en 2018.

Lancé en 2014, le système de crédit social a été généralisé à toute la Chine en 2020. Le gouvernement chinois l’exploite aujourd’hui comme une arme de contrôle de citoyens et un outil efficace pour museler ses opposants. Mais alors qu’il passait pour être le chef de file de l’adoption du métaverse, ce pays étale aujourd’hui son projet d’intégrer le crédit social aux mondes virtuels, exprimant ainsi son désir d’étendre le pouvoir de surveillance dont il dispose déjà. Peut-on réellement envisager une telle possibilité ?

La Chine envisage d’appliquer son système de crédit social dans le métaverse

Maintenir l’ordre dans le métaverse : un projet trop beau pour être vrai ?

Les documents consultés par Politico et rapportés le 20 août indiquent que l’entreprise de télécommunications publique China Mobile a formulé des propositions suggérant la création d’un système d’identification numérique (ID) pour les utilisateurs des environnements virtuels. La finalité ? Maintenir l’ordre et la sécurité au sein du métaverse.

Pour y parvenir, ce système d’identification numérique attribuerait à chaque individu une pièce d’identité contenant une mine d’informations personnelles et sociales, y compris des éléments identifiables comme la profession de cet utilisateur. Les renseignements seraient ensuite stockés de manière permanente et partagés avec les forces de l’ordre. Ces dernières pourraient les exploiter en cas de problèmes de sécurité et d’ordre dans le monde virtuel.

Ces propositions formulées sont-elles mauvaises ? Pas forcément. En effet, dans le cas d’un utilisateur qui « répand des rumeurs et crée le chaos dans le métaverse », le système d’identification numérique aiderait les forces de l’ordre à localiser et à sanctionner rapidement cet individu.

Toutefois, ces suggestions dessinent les contours d’un mécanisme visiblement inspiré du système de crédit social, utilisé en Chine pour évaluer et classer le caractère moral et la fiabilité des citoyens et des entreprises. Ce système fonctionne en collectant des données telles que des dossiers financiers, des interactions sociales, des activités en ligne, etc., pour évaluer plusieurs entités. Par conséquent, son intégration au métaverse impliquerait de nombreux risques.

De l’ordre dans les univers virtuels, mais à quel prix ?

Les propositions de China Mobile ont été présentées le 5 juillet, au cours d’échanges menés avec un groupe de discussion centré sur le metaverse, organisé par l’Union Internationale des Télécommunications (UIT), un organisme affilié à l’ONU dont l’activité est axée sur les technologies de communication.

Les experts de ce groupe de discussion estiment que ces propositions risquent fortement de compromettre les principes de confidentialité et de liberté de connexion qui, aujourd’hui, sont devenus les fondements d’internet dans le monde occidental.

L’intégration d’un mécanisme similaire au crédit social chinois pour maintenir l’ordre dans le metaverse s’oppose également aux principes fondamentaux de l’utilisation de cet environnement virtuel. Ses conséquences pourraient être néfastes :

  • Surveillance accrue : l’identification numérique permet une surveillance constante des activités virtuelles des utilisateurs. Elle pourrait entraîner une perte de vie privée et une intrusion dans leurs activités en ligne ;
  • Hiérarchie sociale virtuelle : un mécanisme semblable au crédit social pourrait créer au sein du métaverse une hiérarchie basée sur les scores de crédit virtuel, ce qui amplifierait les inégalités et les discriminations ;
  • Conformité et contrôle : les utilisateurs seraient incités à suivre les normes et règles établies par les entités contrôlant le métaverse et à éviter les comportements controversés par crainte des sanctions. Cette attitude pourrait limiter leur créativité et leur liberté d’expression ;
  • Manipulation du comportement : les incitations du système pourraient manipuler les utilisateurs afin qu’ils adoptent certains comportements ou participent à certaines activités, ce qui pourrait être exploité à des fins politiques ou commerciales ;
  • Complexité réglementaire : la mise en place et la gestion d’un tel système nécessiteraient une réglementation complexe et la résolution de nombreux problèmes éthiques et juridiques.

La prochaine réunion du groupe de discussion de l’IUT se déroulera en octobre. Cette rencontre sera certainement l’occasion pour les participants de voter sur les propositions de Pékin. Si elles sont acceptées, il est fort probable qu’elles aient un impact significatif sur les entreprises de télécommunication et de technologies.

À travers ces discussions, l’IUT cherche à établir de nouvelles normes pour les services liés au métaverse ainsi qu’aux environnements virtuels en général. Les entreprises chinoises semblent s’impliquer activement dans ce processus contrairement aux sociétés américaines et européennes. Cette démarche est en fait une stratégie de Pékin.

La Chine veut dès maintenant façonner la manière dont le metaverse sera adopté à l’international. Dans cette optique, elle répand peu à peu ses idéologies et participe activement aux débats. Cet engouement de l’Empire du Milieu inquiète certains experts. L’un d’entre eux a notamment invité les dirigeants à se demander si un monde immersif, en partie surveillé par les autorités chinoises, cadre avec leur vision du futur.

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Luc Jose A.

Diplômé de Sciences Po Toulouse et titulaire d'une certification consultant blockchain délivrée par Alyra, j'ai rejoint l'aventure Cointribune en 2019. Convaincu du potentiel de la blockchain pour transformer de nombreux secteurs de l'économie, j'ai pris l'engagement de sensibiliser et d'informer le grand public sur cet écosystème en constante évolution. Mon objectif est de permettre à chacun de mieux comprendre la blockchain et de saisir les opportunités qu'elle offre. Je m'efforce chaque jour de fournir une analyse objective de l'actualité, de décrypter les tendances du marché, de relayer les dernières innovations technologiques et de mettre en perspective les enjeux économiques et sociétaux de cette révolution en marche.

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