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Quel est le réel enjeu derrière la régulation de Bitcoin (BTC) et des cryptomonnaies ?

lun 02 Août 2021 ▪ 10 min de lecture ▪ par Thomas A.

Récemment, le président de la Banque de France a appelé à mettre en place un cadre de régulation des cryptomonnaies « en urgence »… Précisant « il ne nous reste plus beaucoup de temps, un ou deux ans ». Cette mise en garde intervient également quelques semaines après les inquiétudes de la Banque d’Angleterre et bien d’autres institutions. Les cryptomonnaies, bien au-delà de leur caractère spéculatif, modifient lentement la structure du système financier et monétaire jusqu’au niveau interbancaire. Il est donc important de saisir le réel enjeu derrière la volonté de régulation des cryptomonnaies.

Les évolutions récentes inquiètent…

Démocratisation du marché

Mi-2021, le nombre d’adresses actives chaque mois sur Bitcoin est de près de 20 000 millions d’après Glassnode. Cela signifie que le nombre d’adresses actives par an dépasse très probablement les 200 millions de personnes. Début 2020, on comptait près de 100 millions d’adresses actives dans le monde. Le nombre d’adresses actives mensuelles était de seulement 10 millions fin 2016 [voir source]. Le nombre d’utilisateurs de cryptomonnaies tend donc à dépasser au fur et à mesure plusieurs centaines de millions d’individus.

Récemment, malgré la correction du marché des cryptomonnaies, nous assistons à un mouvement puissant de vente de la part des particuliers, tandis que les gestionnaires tendent à conserver globalement leurs positions et les plus gros détenteurs à renforcer leur influence sur le marché. L’intérêt des institutionnels pour les cryptomonnaies est assez récent. Depuis le milieu d’année 2020, de plus en plus de banques d’affaires ou de grands groupes ont radicalement changé leurs positions face aux cryptomonnaies.

JP Morgan a par exemple lancé le JPM Coin pour assurer des paiements interbancaires. JPM Morgan est l’une des banques les plus importantes au monde, tant en termes de capitalisation bancaire qu’en termes d’actifs. Son influence est considérable. La naissance du JPM Coin, indexé sur le dollar, permet des transferts instantanés entre institutionnels, investisseurs, et autres entreprises. Ce JPM Coin était déjà utilisé par plus de 220 banques à travers le monde en 2020.

Pour concurrencer le JPM Coin, de nombreuses banques se sont réunies autour de la plateforme Fnality (Fnality International). Ce projet de crypto monnaies a d’abord été impulsé par UBS, et a été rejoint par plus d’une dizaine de banques dont Credit Suisse, HSBC, Barclays, etc. Cette crypto monnaies développée par un système Blockchain via Fnality a été baptisé Utility Settlement Coin (USC). Il est principalement destiné aux transactions interbancaires.

L’intérêt des institutionnels pour le marché

Le marché des cryptomonnaies est très fragmenté. D’une part, sur près de 10 000 cryptomonnaies existantes, les 5 premières cryptomonnaies concentrent près de 75% de la capitalisation de tout le marché. Écrit autrement, 0,05% des cryptomonnaies concentrent 75% de la capitalisation du marché. Le Bitcoin à lui seul représente la moitié de la capitalisation du marché des cryptomonnaies et bénéficie d’un fort ancrage de visibilité.

D’autre part, la répartition de l’offre de Bitcoin est autant fragmentée. Mi-2021, 50% des adresses de Bitcoin sont des comptes ayant entre 0 et 0.001 Bitcoin, ces adresses pèsent 0,022% de la capitalisation du Bitcoin. En réalité, 91% des adresses (entre 0 et 0.1 Bitcoin) concentrent à peine plus de 1,25% du nombre de Bitcoins détenus sur le marché ! La réciproque inévitable est celle de l’hyper concentration de cryptomonnaies entre quelques agents.

En effet, les détenteurs de plus de 1 000 Bitcoins représentent 0,0055% de toutes les adresses. Ces 2 150 adresses concentrent plus de 42% de tous les Bitcoins en circulation. À savoir que près de 3,8 millions de Bitcoins (environ 20% de l’offre actuelle) seraient perdus du fait de l’extrême sécurité, d’après Chainanalysis. Enfin, les détenteurs entre 10 et 1000 Bitcoins, soit 0,36% des adresses, concentrent également plus de 42% des Bitcoins en circulation.

La croissance des stablecoins

Récemment, les stablecoins connaissent un succès croissant. Au-delà des cryptomonnaies comme Ripple qui se spécialisent dans les paiements interbancaires, les stablecoins deviennent une réelle alternative numérique à la monnaie. Leur objectif est d’assurer la même valeur que l’euro ou le dollar. Le système des stablecoins se rapproche un peu du système des émissions de billets au XVIIIe siècle. En échange de réserves d’euros ou de dollars, l’entreprise émettrice de stablecoins garantit le même pouvoir d’achat en stablecoins.

Les stablecoins offrent les avantages des cryptomonnaies (rapidité de traitement, sécurité, etc…), sans pour autant subir certains inconvénients des cryptomonnaies traditionnelles (volatilité…).  Fin 2020, la Banque des règlements internationaux a publié un rapport suggérant la régulation des stablecoins. Ce rapport précise que « les répercussions des stablecoins sur la désintermédiation du traditionnel secteur bancaire doit également être pris en compte. […] Les prêts bancaires traditionnels pourraient devenir plus coûteux (voir Kahn, 2016). Une implication étroitement liée est que les banques pourraient recevoir des entrées substantielles sur leurs bilans si les stablecoins étaient dans l’obligation de conserver des réserves à la banque centrale. ». En clair, l’enjeu est d’autant plus fort que les banques centrales développent leurs propres stablecoins. Récemment, la Banque d’Angleterre à réaffirmer sa volonté de réguler les stablecoins selon Reuters.

Ce que changent les cryptomonnaies

Remise en cause de la souveraineté monétaire centrale

Les cryptomonnaies sont donc utilisées à tous les niveaux. La diffusion des cryptomonnaies au niveau des transactions interbancaires remet en cause la souveraineté même des banques centrales. Les banques centrales assurent leur rôle de direction du système financier à travers le contrôle du marché interbancaire. Si les banques commerciales ou les institutions privées se mettent à utiliser leurs propres cryptomonnaies, cela menace directement la souveraineté de la banque centrale. Un peu au même titre que la diffusion des billets au XVIIIe siècle a contribué à la perte de souveraineté monétaire de l’État en faveur des naissantes banques centrales.

À l’été 2020, Goldman Sachs précisait que « Nous étudions la viabilité commerciale de la création de notre propre token numérique de monnaie fiduciaire, mais nous n’en sommes qu’au début, car nous continuons à travailler sur les cas d’utilisation potentiels. »… Ainsi que d’un possible développement « d’un système financier où tous les actifs et passifs seraient regroupés sur la Blockchain » d’ici 5 à 10 ans.

Besoin de régulation ?

Le besoin de régulation des cryptomonnaies s’est manifesté avec l’annonce de Facebook de lancer sa propre cryptomonnaie, Libra. Cela a encouragé très fortement les banques centrales à développer leurs propres cryptomonnaies (MNBC), encore en test pour la plupart. La volonté des banques centrales de retrouver une forme de souveraineté face aux innovations privées passent aussi bien par la régulation que l’entrée sur le marché.

Fin juin 2021, le président de la Banque de France, François Villeroy de Galhau appelait les institutions européennes à mettre « en urgence », un cadre de réglementation européen.

« Qu’il s’agisse des monnaies numériques ou des paiements, nous, en Europe, devons être prêts à agir aussi vite que nécessaire, ou prendre le risque d’une érosion de notre souveraineté monétaire […] Je dois souligner ici l’urgence : il ne nous reste plus beaucoup de temps, un ou deux ans. » – François Villeroy de Galhau, Président de la Banque de France, colloque financier de Paris Europlace, 29 juin 2021. « L’urgence » de régulation provient avant tout de besoin des banques centrales de définir clairement quelle sera la place des cryptomonnaies dans le système financier.

Le problème de la considération juridique

Le problème est aussi celui de la considération juridique comptable sans réglementation. Bien que les cryptomonnaies soient reconnues comme actifs financiers dans la plupart des pays, elles servent de manière croissante en tant que trésorerie. Au niveau fiscal, les cryptomonnaies sont très inégalement imposées dans le monde [voir article].

L’autre problématique derrière la régulation est le manque de coordination au niveau mondial. Tandis que des pays comme le Salvador reconnaissent le Bitcoin comme monnaie légale et que certains pays d’Amérique du sud réfléchissent à la même piste, d’autres pays interdisent, ou sont à l’inverse très libéraux. L’adoption des cryptomonnaies est très forte en Russie, en Chine, aux États-Unis, etc… Bien que la Chine cherche à monopoliser le marché autour de cryptomonnaies gouvernementales, le pays reste en avance dans la diffusion.

En définitive, les cryptomonnaies soulèvent de véritables enjeux de souveraineté monétaire. Dernièrement, la démocratisation du marché est particulièrement prononcée chez les institutionnels et les acteurs majeurs du marché. Tandis que d’autres types de cryptomonnaies émergent, la souveraineté des banques centrales pourrait être fortement affectée sur les prochaines années.

Un cadre de régulation trop sévère serait un moyen pour les banques centrales de couper la diffusion de ces innovations au seul profit de leur souveraineté, ce qui n’est pas souhaitable. À l’inverse, une régulation trop faible ou inexistante ne serait pas suffisante pour améliorer et uniformiser le cadre de développement des cryptomonnaies.

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Thomas A.

Auteur de plusieurs livres, rédacteur économique et financier sur plusieurs sites, je noue depuis de nombreuses années une véritable passion pour l'analyse et l'étude des marchés et de l'économie.

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