A
A

L'UE imagine un scénario dystopique pour 2030 où tout est tokenisé

jeu 09 Mar 2023 ▪ 8 min de lecture ▪ par Martin
Blockchain

Le rendez-vous est donné en 2030. Dans un rapport commandé par la commission européenne, les contours d’une future économie « tokenisée via la blockchain » se dessinent. Certains investisseurs y voient l’avenir des transactions d’actifs. Mais ce glissement nous mènerait vers une société totalement verrouillée par une vision technocratique, où tout serait tracé et surveillé.

Carte de l'Europe tokenisée

La tokenisation, l’enjeu de demain pour l’Europe ?

​​On vous en parlait déjà en 2022, de nombreux acteurs économiques parient sur une tokenisation croissante de l’économie, dont le géant américain BlackRock. Beaucoup y voient en effet le futur des transactions financières. D’autres, plus nuancés, alertent d’un dérapage dangereux alimenté par la spéculation.

Mais qu’est-ce que la tokenisation, au juste ? Concrètement, la tokenisation désigne le processus d’inscription d’un actif sur une blockchain. Il s’agit de créer un produit « dérivé » ou plutôt associé, adossé, à un actif réel comme l’or ou l’immobilier. L’objectif ? Développer une « industrie 4.0 ». Aujourd’hui, les cryptomonnaies sont la forme la plus connue de token. Vous pouvez consulter nos articles pour en savoir plus sur la tokenisation et ses enjeux.

L’Europe sera-t-elle le berceau de l’industrie numérique du futur ? C’est en tout cas ce que semble dire les récentes prises de position de l’Union Européenne. En effet, tout en souhaitant réguler ces nouvelles technologies, l’UE aimerait aussi accueillir les prochaines grosses entreprises du secteur. Consciente des enjeux, le vieux continent s’efforce de faire bouger rapidement les lignes. Car l’Europe ne veut pas passer à côté du prochain virage numérique, comme elle l’avait fait au début d’Internet.

Quatre classes d'actifs peuvent être représentées par des tokens, accompagnés d'exemples des informations qu'ils peuvent contenir.
Quatre classes d’actifs peuvent être représentées par des tokens, accompagnés d’exemples des informations qu’ils peuvent contenir.

Un scénario troublant

C’est dans ce contexte que l’UE se renseigne sur les possibilités de la blockchain. Elle s’intéresse en particulier à la tokenisation. Commandé par une commission spéciale, Tokenise Europe 2025 tente d’imaginer le monde en 2030 après une tokenisation générale de la société. Et malgré toutes les bonnes intentions de ses commanditaires, le rapport donne un sentiment de malaise. Il se réjouit en effet d’un monde totalement transformé et défiguré par la numérisation via la blockchain.

« La tokenisation impacte de nombreux domaines de notre vie : les mondes virtuels dans lesquels nous vivons, l’argent avec lequel nous payons, les actifs dans lesquels nous investissons et l’automatisation des processus dans notre vie quotidienne. La tokenisation implique de nombreuses parties prenantes : entreprises et PME, gouvernements, citoyens, banques et banques centrales. »

Bien entendu, les innovations de la tokenisation doivent apporter leur lot d’effets positifs : sécurité, simplification et suivi des transactions, lutte contre l’usurpation d’identité… les applications possibles sont nombreuses. De plus, l’Asie entre déjà dans la course à la tokenisation des actifs et des biens. Un retard à rattraper au plus vite ? C’est ce que semble préconiser les partisans d’une industrie 4.0 « blockchainisée ». Ce sera en tout cas un enjeu que l’Union Européenne devra étudier rapidement, peu importe sa position finale.

La tokenisation intéresse particulièrement le monde de la finance
La tokenisation intéresse particulièrement le monde de la finance

« En 2030, toutes les identités numériques – celles des personnes comme des machines – sont stockées dans des portefeuilles numériques »

Par ailleurs, Tokenize Europe imagine à quoi pourrait ressembler la journée type d’un citoyen européen dans un monde tokenisé en 2030. Metaverse, frigo autonome, identité numérique et intelligence artificielle omniprésente ! Bienvenu dans un monde où l’individu est devenu une variable ajustable, guidé par les datas et les algorithmes intelligents. « Simon est un citoyen européen et possède un jeton d’identité numérique bio-unique stocké dans sa montre intelligente. », se félicitent ainsi les analystes. À l’avenir, le bon citoyen est donc celui qui accorde le plus de place à la technologie, en jouant le jeu de la tokenisation et de la centralisation numérique. Mais y aura-t-il vraiment le choix pour les autres ?

Certes, le scénario n’est pas vendu comme un modèle à atteindre. Cependant, l’absence de toute critique le rend inquiétant. En outre, Tokenise Europe 2025 insiste sur la nécessité de travailler sur la souveraineté numérique de l’UE. Une intention louable, mais sans analyse des conséquences sociales. Pas de quoi inquiéter les décideurs du monde des affaires, concentrés sur leurs objectifs de croissance. Leur travail de lobbying en faveur de la tokenisation pourrait rapidement porter ses fruits, avec un objectif ambitieux annoncé : 2030, soit (presque) demain.

Après son arrivée à la maison, Simon jette un dernier coup d’œil aux dernières nouvelles diffusées dans le metaverse en fonction de ses préférences auto-définies.

La tokenisation ouvre de nouvelles perspectives en matière de contrôle des citoyens
La tokenisation ouvre de nouvelles perspectives en matière de contrôle des citoyens

Un avenir tokenisé : le meilleur des mondes ?

Il est clair que la tokenisation pourrait séduire les gouvernements Européens. Traçage, collecte de données, optimisation logistique et économique : les perspectives sont réelles. Toutefois, la tokenisation intéresse surtout les financiers. En effet, le phénomène pourrait redonner un second souffle à une économie en récession, tout en proposant de nouveaux produits.

Pourtant, même si de plus en plus de politiques embrassent le techno solutionnisme (l’art de régler tous les problèmes par la technologie, y compris les questions économiques), on en voit aujourd’hui les limites. Effectivement, la technologie en elle-même ne « solutionne » rien. Au contraire, elle a tendance à problématiser davantage, rendant nos sociétés toujours plus complexes.

Ainsi, la tokenisation de tous les aspects de la vie humaine est un projet total, pour ne pas dire totalitaire. Loin de n’être qu’une opportunité de business, c’est l’idée de pouvoir tout contrôler qui nourrit ce projet. De plus, avec l’arrivée prochaine des monnaies numériques de banque centrale (les CBDC), c’est un horizon extrêmement centralisé qui se présente. Un futur aux antipodes des promesses initiales de la blockchain.

À ce sujet, les auteurs de Tokenise Europe 2025 se réjouissent également du déploiement prochain des monnaies numériques de banque centrales. Selon eux, elles pourraient booster l’appétit des consommateurs pour les innovations de demain : « L’introduction de CBDC tokenisée pourrait implanter à grande échelle le paiement programmable et encourager les micro-paiements pour l’Internet des objets. »

Conclusion

Plusieurs visions divergentes s’affrontent concernant l’application et l’usage de la blockchain. Les lobbys de la finance considèrent que la tokenisation de nos vies est imminente. Pourtant, il paraît aujourd’hui difficile d’imaginer un tel scénario d’ici à 2030. Une simple question de temps ? Encore faudrait-il que les citoyens puissent décider du choix, ou non, de cette technologie encore mal comprise. Même si la tokenisation peut avoir du bon, un tel scénario n’augure rien de très réjouissant pour le futur.

Maximisez votre expérience Cointribune avec notre programme 'Read to Earn' ! Pour chaque article que vous lisez, gagnez des points et accédez à des récompenses exclusives. Inscrivez-vous dès maintenant et commencez à cumuler des avantages.


A
A
Martin avatar
Martin

Fasciné par l'histoire du Bitcoin et le mouvement cypherpunk, je pense que les citoyens doivent réinvestir le champ de la monnaie. Mon but ? Démocratiser et rendre visible le potentiel de la blockchain et des cryptomonnaies.

DISCLAIMER

Les propos et opinions exprimés dans cet article n'engagent que leur auteur, et ne doivent pas être considérés comme des conseils en investissement. Effectuez vos propres recherches avant toute décision d'investissement.