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Et si Bitcoin était communiste ?

mer 10 Mai 2023 ▪ 18 min de lecture ▪ par Martin
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Que se serait-il passé si Karl Marx avait connu le bitcoin ? Malgré les apparences, le philosophe allemand n’aurait pas forcément été contre cette monnaie numérique. Au contraire même, le père du communisme aurait pu être enthousiaste face au potentiel révolutionnaire de cette innovation. Car Bitcoin est avant tout un logiciel open source sans restrictions géographiques. Grâce à ses propriétés uniques, le BTC pourrait paradoxalement être un outil de renversement du capitalisme. Bitcoin est-il le meilleur allié de l’idéal communisme ? Karl Marx et Bitcoin, la lutte finale ?

Logo Bitcoin sur un drapeau rouge et illustration de Karl Marx

Un outil révolutionnaire pour renverser le capitalisme 

Né au 19ᵉ siècle dans une période de grande agitation et de bouleversements, le communisme continue encore aujourd’hui d’exercer une grande influence. Mais quels liens peut-il entretenir avec le bitcoin ?
À l’origine, le marxisme prône une révolution totale, un grand basculement. Le bitcoin s’inscrit dans cette conception globale. Il est révolutionnaire à plusieurs égards : il bouscule, étonne, inquiète, propage l’espoir d’un autre système. Sa force est qu’il replace la monnaie comme un instrument politique fondamental.
Ce n’est pas hasard si les premiers bitcoins s’échangent en 2009, un an après la crise des subprimes. Puisque les banques privées sont renflouées avec de l’argent public (de la dette), il fallait trouver une alternative. Voilà le point de départ du projet de Satoshi Nakamoto : il inscrit ainsi dans le premier bloc le titre d’un article du journal The Times : « The Times 03/Jan/2009 Chancellor on brink of second bailout for banks » (Le chancelier est sur le point d’accorder un second renflouement aux banques). Une manière de dénoncer la privatisation des profits et la socialisation des pertes.

Dès le départ, Bitcoin n’est donc pas neutre politiquement. C’est un parti pris, une tentative de court-circuiter un système monétaire profondément malade. En fait, il s’agit de repenser un rapport de force depuis trop longtemps déséquilibré entre le peuple et les grandes institutions inattaquables. En se passant d’intermédiaire, Bitcoin réussit le tour de force de tisser sa toile sans demander aucune forme d’autorisation : après tout, la cryptographie n’est « que » du code.

Un billet de banque qui brûle au sol.
Bitcoin a vu le jour en 2009, en pleine crise des subprimes.

Bitcoin est un rapport social

La valeur d’un bitcoin est inséparable du réseau qui le porte. Individuellement, un bitcoin n’est rien. Il n’a de sens qu’en prenant part à un réseau décentralisé, fait de nodes qui se supportent mutuellement. En disputant l’autorité centrale monétaire détenue par l’État et les banques, il construit un modèle en commun, parallèle. Cette organisation spontanée est à rapprocher de ce que le philosophe français Deleuze nomme le rhizome dans son livre Mille Plateaux. À la manière de ces racines particulières, le réseau émerge de toute part, si bien qu’on ne peut pas déterminer sa source. Certains mathématiciens travaillant sur la technologie blockchain ont d’ailleurs repris ce concept pour leurs recherches.

De plus, la gouvernance même de bitcoin est une forme de débat monétaire perpétuel. En effet, le protocole est ouvert : chacun peut y apporter sa contribution, ou opposer son veto à chaque proposition soumise à la communauté. Ainsi, le protocole actuel de Bitcoin est amené à évoluer (ou pas, selon les délibérations). En un sens, le bitcoin permet de retrouver un semblant de convivialité autour de la technique, tel que définit par Ivan Illich dans son essai Tools for conviviality. Bien loin de l’individualisme, cette manière de faire réseau fait écho avec l’idéologie communiste.

À la manière des rhizomes, bitcoin se propage de toute part grâce à un réseau horizontal spontané.
À la manière des rhizomes de certains végétaux, bitcoin se propage de toute part grâce à un réseau horizontal spontané.

Repenser l’énergie et le travail

L’auteur Mark Alizar va plus loin et relève d’autres similitudes entre le communisme et les cryptomonnaies dans son livre Cryptocommunisme. Il rappelle notamment que Marx a été un des premiers à rapprocher l’économie d’un système thermodynamique. C’est-à-dire, un système essentiellement basé sur l’énergie, sa production et sa transformation. Or, le bitcoin rend explicite tous ces processus. Il n’est que l’encodage d’une énergie (en l’occurrence le minage et la proof of work). C’est pourquoi il partage des points communs avec l’or, monnaie-étalon depuis des millénaires et dont la quantité, bien qu’abondante, est limitée. Ainsi, le bitcoin est limité dans son protocole à 21 millions d’unités. Cette propriété le place paradoxalement en opposition à l’abondance de masse monétaire qui inonde les marchés financiers. De plus, le bitcoin est presque divisible à l’infini (actuellement, jusqu’à 0,00000001 bitcoin) : il peut y en avoir pour tout le monde.

Bitcoin n’appartient à personne

Bitcoin est avant tout un logiciel open source sans restriction d’âge, de couleur de peau, de sexe ou de nationalité. C’est pourquoi Bitcoin est singulièrement différents des autres cryptomonnaies ou des autres blockchains. Le BTC n’appartient à personne. Ou plutôt, il appartient à tout le monde. Bitcoin n’a pas de créateur identifié, pas de propriétaire, pas de brevet : il est un commun monétaire.

De plus, Bitcoin n’a pas de propriétaire ni d’actionnaire (contrairement à ce que croit ce sénateur français). C’est un objet libre. Certes, on spécule sur son prix. Mais son protocole (la manière dont on échange de la valeur) reste ouvert. Le code de bitcoin est visible et modifiable par tous : il est open source. De plus, il est décentralisé par nature, ce qui signifie que le pouvoir n’appartient à personne, en théorie. Chacun est égaux devant le code : Bitcoin un logiciel libre collaboratif. Un mode d’organisation proche de l’idéal communiste.

Pour Karl Marx, la possession et l’accaparement des moyens de productions est à la base du système capitaliste. Bitcoin est donc l’inverse. C’est la première monnaie d’internet, digne héritier de la mouvance open source et des premières utopies du web.

Détournement d'une affiche communiste avec Bitcoin à la place de la faucille et du marteau.
Bitcoin comme un moyen de briser ses chaines… par la blockchain.

Réinventer les moyens de production de la monnaie

Le marxisme expose notamment l’accaparement des moyens de productions par un petit groupe. Mais qu’en est-il de la production monétaire ? Aujourd’hui, la monnaie est créée ex-nihilo par les banques commerciales privées au moment où elles émettent un prêt. De plus, le pouvoir de décision monétaire européen a été dilué et est désormais entre les mains d’un petit groupe de haut-fonctionnaires : la Banque Centrale Européenne (BCE). Cette immense prérogative s’apparente à un pouvoir de vie ou de mort sur les peuples. On se souvient par exemple des conséquences pour la Grèce du plan d’austérité décidé par la BCE. En réalité, c’était une histoire de monnaie : pour ne pas (trop) dévaluer l’euro et rassurer les marchés, un programme dévastateur socialement a été imposé au pays.

Bitcoin est avant un rempart face à l’immense pouvoir des banques commerciales privées.

En outre, dans le contexte d’inflation que l’on connaît, reprendre le pouvoir sur sa monnaie devient un enjeu de plus en plus vital. La Turquie, par exemple, est en proie à une inflation qui dépasse les 100 % pour la simple année 2022. Une dévaluation monétaire qui a poussé les Turcs vers une « ruée vers l’or » des cryptomonnaies.

Dans les coffres-forts de la banque
Ce qu’il a créé s’est fondu,
En décrétant qu’on le lui rende,
Le peuple ne veut que son dû.

Extrait de L’Internationale, chant révolutionnaire repris par les communistes

Un changement de modèle monétaire

Depuis la création de l’euro, la France et les autres pays de la zone euro ont renoncé au pouvoir séculaire de battre la monnaie. En cas de crise, il n’est plus possible de jouer sur le levier de la monnaie afin d’ajuster l’inflation, par exemple. De plus, la plupart des monnaies sont aujourd’hui paramétrées pour un modèle de croissance infinie (alors même que nous vivons sur une planète aux ressources limitées). À ce titre, Bitcoin peut aussi être vu comme la monnaie de la décroissance. Certes, Karl Marx était partisan du productivisme. Mais c’était selon lui un moyen de parvenir à la réduction du temps de travail, et non une fin en soi.

Bitcoin inquiète la bourgeoisie

Le BTC n’a pas vraiment bonne presse. Même si sa perception et son traitement médiatique ont changé depuis plusieurs années, il demeure controversé. En effet, lorsqu’on évoque le bitcoin, c’est souvent pour souligner qu’il pollue, qu’il est utilisé par des extrémistes, ou bien encore qu’il n’a aucune utilité sociale réelle. Bien sûr, l’énergie consommée est une critique légitime. Pourtant, on ne questionne que rarement l’utilité sociale de services capitalistes de tous les jours. Par exemple, l’industrie du streaming est-elle vraiment utile socialement, au regard de l’énergie qu’elle consomme ? Ne vaut-il pas mieux utiliser cette énergie pour garantir l’existence d’une monnaie incensurable ?

D’abord moqué, Bitcoin devient aujourd’hui menaçant. Les élites voient souvent d’un mauvais œil la réappropriation du champ monétaire, privilège normalement réservé à une caste de technocrates initiés. Surtout, il permet une autonomisation des peuples et des luttes, en permettant de se passer de tiers de confiance, tels que les banques ou les gouvernements. Face à un outil aussi puissant et qui rend obsolète les banques commerciales, on comprend l’inquiétude des élites bourgeoise.

Un groupe d'hommes bourgeois devant un écran d'ordinateur
Les classes dominantes s’inquiètent de l’essor du bitcoin. Image créée via Midjourney

Un phénomène qui échappe à l’approbation des puissants

Pour rappel, Bitcoin est d’abord un phénomène monétaire spontané. Ce sont des particuliers anonymes qui ont reconnu cette cryptomonnaie comme ayant une valeur afin de se l’échanger contre des biens et des services sur internet. C’est pourquoi Bitcoin inquiète autant la bourgeoisie (aujourd’hui, on dirait plutôt « classe supérieure »), car elle lui échappe. Une chose est sûre : si la bourgeoisie s’en inquiète, c’est qu’il y a du potentiel. En France, l’épisode des gilets jaunes nous le rappelle. Alors que le prolétariat est aujourd’hui préoccupé par l’inflation et cherche des alternatives pour tenir la distance avec les ultra-riches, Bitcoin propose de faire un pas de côté. Il offre son propre système de valeur. Encore une fois, Mark Alizart le relève dans son essai :

« Marx […] constate dans le Manifeste du Parti communiste que la nouvelle classe « bourgeoise » accapare toute la valeur et se comporte comme « les nouveaux princes » de nos sociétés. De ce constat va naître en Marx le désir de supprimer ces derniers tiers de confiance que sont les bourgeois afin que le peuple retrouve pleinement sa souveraineté économique et politique.« 

Mark Alizar

L’occident n’est pas le centre du monde

La lutte des classes se fait désormais de manière totale : elle s’est mondialisée. Il existe ainsi une forte disparité entre les pays du sud et du nord. La concurrence est impitoyable, y compris sur le plan monétaire. Le pétrodollar ou au franc CFA en sont l’incarnation. De plus, les populations qui utilisent le bitcoin sont précisément celles qui n’ont pas accès aux services bancaires que les européens pensent universels. En Europe, détenir un compte bancaire est devenu facile (et quasi obligatoire pour exister socialement). Toutefois, il s’agit encore d’un privilège dans beaucoup de pays africains, pour ne citer que cette région du monde.

Ce n’est donc pas un hasard si le BTC est de plus en plus utilisé en Afrique alors même que son usage est parfois interdit. En favorisant l’inclusion financière et l’autonomie des peuples, on pourrait dire que le BTC a tout d’un outil communiste.

carte de l'Afrique
L’Afrique est un continent extrêmement curieux des moyens de paiements alternatif, à l’instar de Bitcoin By James Wiseman on Unplash

Bitcoin, une lutte internationale

Bitcoin est aussi une utopie. Une utopie internationale, sans frontières. Il est un symbole, une bannière commune qui rassemble des idéalistes du monde entier, et ce, en faisant abstraction des frontières. Le BTC apporte aujourd’hui de l’espoir, une façon d’entrevoir un autre monde possible. Il fédère une large communauté, rassemble des peuples extrêmement différents, s’échangeant de la valeur et de l’information. Surtout, il semble qu’ils soient une force souterraine, qui croît doucement, qui bruisse, mais qui progressivement prépare le terrain pour une révolution plus globale, une remise en cause générale de l’ordre monétaire traditionnel. Une internationale 2.0 ?

Car même si le bitcoin baigne aujourd’hui dans une soupe capitaliste indigeste, il continue à inspirer des nouvelles idées. Un moyen de repenser la gouvernance en dehors des cadres habituels. Toujours selon Mark Alizart, Bitcoin n’est pas réactionnaire, bien au contraire :

«Bitcoin s’inscrit dans le grand mouvement d’émancipation des tiers [de confiance] qui caractérise la modernité dans sa quête de liberté et d’autonomie« 

Drapeaux communistes lors d'une manifestation

Plus que tout, le BTC est par essence sans frontières, tout comme le réseau internet. À la différence près qu’il est incensurable, résistant aux attaques des gouvernements grâce à son réseau décentralisé et résilient. À ce titre, le bitcoin est une monnaie réellement internationale, en se détachant de toute autorité économique centrale.

Financer les mouvements sociaux

Aujourd’hui, c’est en dehors de l’occident que le bitcoin est utilisé à des fins révolutionnaires. L’activiste congolais Gloire Wanzavalere milite notamment pour faire reconnaître l’utilité du bitcoin dans le cadre du mouvement citoyen La Lucha. Ces militants doivent faire face à la censure, et à la surveillance de leur transaction ! Pour l’activiste, l’utilité du bitcoin est évidente dans la lutte pour la liberté. Il permet de protéger les militants tout en finançant les mouvements sociaux. Parfois, au contraire, ce sont les États eux-mêmes qui adoptent le bitcoin pour se défaire du dollar ou du franc CFA. C’est le cas du Salvador ou de la Centrafrique. Un pari forcément risqué, mais qui indique un fort besoin de s’émanciper des anciennes puissances coloniales.

Quels reproches aurait fait Karl Marx à Bitcoin ?

Bien sûr, faire dialoguer Karl Marx avec le bitcoin 200 ans après est anachronique. Cela reste une pure fiction. Et malgré l’intérêt que le philosophe allemand lui aurait sans doute porté, il est aussi certain qu’il aurait émis plusieurs critiques. De fait, Karl Marx se serait probablement insurgé contre la récupération de Bitcoin par le système capitalisme. Évidemment, la grande spéculation dont fait l’objet le BTC et les cryptomonnaies aurait déplu. De plus, Marx n’était pas forcément un adepte de la décentralisation. Selon lui, l’État central est plus efficient. Les États communistes ont toujours été extrêmement centralisés, par nécessité, et afin de mettre en place un authentique projet politique grâce à l’action publique. C’est une de leur grande force. Ceci est un point de désaccord majeur avec la doctrine anarchiste qui prône quant à elle une absence de gouvernance étatique centrale.

Deux pièces Bitcoin
Les deux facettes de bitcoin : à la fois étendard de la spéculation dérégulée et outil d’émancipation.

Ce n’est pas pour rien si les premiers développeurs de Bitcoin se déclaraient « crypto-anarchistes ». De la même manière que les anarchistes traditionnels, ils considéraient l’État contre une menace, en remettant en cause son monopole de la violence légitime. Les bitcoiners convaincus clament que Bitcoin est avant tout un réseau. Pour eux, même si le BTC s’échangeait à 1 $, ils continueraient de l’utiliser.

Mais ne soyons pas dupes : malgré les nobles intentions de Satoshi Nakamoto et des cryptographes militants de la vie privée, Bitcoin est aujourd’hui capté par l’industrie capitaliste, de moins en moins décentralisé, de plus en plus dévoyé. C’est particulièrement visible pour les autres cryptomonnaies qui n’ont d’autres buts que la spéculation pure.

Conclusion

Bitcoin est un objet inclassable, susceptible d’intéresser un large panel de sensibilités politiques différentes. Tout comme Internet, la couleur politique du réseau Bitcoin n’est pas claire. Pourtant, même si la communauté des cryptomonnaies intéresse particulièrement les libertariens, tout porte à croire que Bitcoin a tout d’un outil communiste grâce à ses propriétés uniques et son potentiel révolutionnaire.

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Martin

Fasciné par l'histoire du Bitcoin et le mouvement cypherpunk, je pense que les citoyens doivent réinvestir le champ de la monnaie. Mon but ? Démocratiser et rendre visible le potentiel de la blockchain et des cryptomonnaies.

DISCLAIMER

Les propos et opinions exprimés dans cet article n'engagent que leur auteur, et ne doivent pas être considérés comme des conseils en investissement. Effectuez vos propres recherches avant toute décision d'investissement.