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Les MNBCs : Une nouvelle arme de contrôle pour les États ?

sam 29 Juil 2023 ▪ 10 min de lecture ▪ par Luc Jose A.
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Les monnaies numériques des banques centrales (MNBCs) ou (CBDC) se propagent considérablement depuis quelques années. Séduits par leurs atouts (rapidité des transactions, traçabilité, sécurité, etc.), plusieurs pays du monde entier investissent dans leur développement. Pour rappel, ces monnaies sont une nouvelle forme de devise numérique émise, gérée et contrôlée par la banque centrale d’un pays ou d’une zone monétaire. Le concept des MNBCs suscite un réel engouement de la part des gouvernements et des experts économiques. Cependant, il ne fait pas l’unanimité. Plusieurs citoyens, surtout des membres de la communauté crypto, voient en ces monnaies une nouvelle arme de contrôle et de surveillance à la disposition des États. Ils craignent qu’elles ne soient détournées de leurs objectifs initiaux et utilisées pour restreindre la liberté financière. Ces accusations sont-elles réellement justifiées ? Faut-il considérer les MNBCs comme une menace ou une opportunité ?

Une banque avec la mention MNBC

État des lieux sur l’essor des MNBCs dans le monde

Les MNBCs gagnent lentement, mais sûrement du terrain en dépit du tollé qu’elles suscitent de par le monde. J’en veux pour preuve le fait que le nombre de projets de monnaie numérique existants a considérablement progressé durant ces dernières années.

D’après la plateforme Atlantic Council, environ 105 pays, qui représentent 95 % du PIB mondial, explorent la possibilité d’émettre une MNBC. Ces chiffres sont appuyés par une enquête de Cointelegraph qui ajoute que 39 de ces pays ont déjà lancé des initiatives de MNBC.

Pour l’instant, seuls la Jamaïque et les Bahamas disposent d’une MNBC entièrement fonctionnelle. La plupart des autres initiatives en cours sont des projets pilotes ou des démonstrations de faisabilité. Elles permettent aux gouvernements de « tâter le terrain » et d’apprécier les premiers résultats. Au nombre de ces initiatives, nous avons :

  • Le yuan numérique chinois (e-CNY) dont le lancement a été certainement le plus médiatisé. On sait encore peu de choses à son sujet, si ce n’est que cette monnaie servira à renforcer la présence politique et économique de la Chine,
  • L’eNaira, CBDC du Nigeria, qui connaît des débuts timides. Pour booster cette monnaie, le gouvernement a limité de montant des retraits en espèces hebdomadaires pour les fonctionnaires et la population,
  • Le Mais, développé par la Banque centrale d’Arabie saoudite et l’Autorité monétaire saoudienne.

Et ce n’est que le début ! De l’Ukraine à l’Inde en passant par le Japon, les pays s’activent pour ne pas manquer ce qui pourrait être une grande révolution pour le système monétaire mondial. L’engouement des gouvernements pour les MNBCs est peut-être remarquable. Mais tout porte à croire qu’il cache de sombres motivations.

Les MNBCs : une arme de contrôle pour les Banques Centrales

Comme l’affirme l’économiste Murray Rothbard, « l’État cherche à tout contrôler pour pouvoir justifier son existence et maintenir son pouvoir ». Ce désir de contrôle est l’essence de toutes les organisations qui découlent du pouvoir exécutif, et donc des banques centrales.

Par conséquent, dans une certaine mesure, les MNBCs pourraient bien constituer une arme de contrôle pour les banques centrales. Ce point de vue s’explique par les arguments suivants.

Une revanche sur le marché des cryptos

Vous ne l’ignorez pas sans doute, mais le bitcoin, né en 2008, en pleine crise financière, comme une réponse cinglante aux banques et aux gouvernements qui, selon beaucoup, avaient failli dans leur gestion de la monnaie fiduciaire. Le Bitcoin a un objectif clair et ambitieux : remplacer la monnaie traditionnelle et offrir une alternative décentralisée. Pourquoi ? Parce qu’il met le pouvoir entre les mains du peuple, et non plus des institutions. C’est une révolution silencieuse, mais qui gronde chaque jour un peu plus fort. Et qui sait ? Un jour, on pourrait bien se passer de ces bouts de papier et de métal qu’on appelle monnaie.

Cette philosophie, qui sous-tend également les autres cryptomonnaies, est mal vue des banques centrales. Elles sont conscientes que le système monétaire actuel est défaillant, mais refusent de perdre le contrôle de l’argent et de l’économie.

Les monnaies numériques de banques centrales sont donc nées de cette volonté de conserver le monopole monétaire. Leur création serait une tentative de reprendre la mainmise sur le marché cryptographique en offrant une alternative légale et réglementée aux cryptomonnaies privées. De cette façon, les banques centrales pourraient continuer à jouer leur rôle de régulation monétaire et de stabilité financière.

La nature des monnaies numériques de banque centrale

Les monnaies numériques de banque centrale sont, par nature, émises, gérées et administrées par les banques centrales. En raison de ces caractéristiques, elles pourraient bien devenir une arme de contrôle stratégique entre les mains de ces institutions. Voici quelques éléments qui le prouvent :

  • La traçabilité des transactions : les banques centrales pourraient avoir une visibilité complète sur toutes les transactions effectuées avec une MNBC grâce à la technologie blockchain sur laquelle repose cette monnaie,
  • Le contrôle des politiques monétaires : les banques centrales pourraient exercer un contrôle direct sur l’offre et la politique monétaire et ainsi influencer considérablement l’économie,
  • La surveillance financière : les MNBCs permettraient de suivre les flux de fonds et les mouvements d’argent grâce à la traçabilité des transactions. Cela faciliterait la surveillance financière,
  • Les politiques fiscales : les CBDC pourraient faciliter la collaboration entre les banques centrales et les gouvernements dans la mise en œuvre des politiques fiscales,
  • L’élimination de l’anonymat financier : contrairement aux cryptomonnaies décentralisées, les MNBCs pourraient aider à identifier clairement leurs utilisateurs. Cela permettrait aux banques centrales de collecter des données à leur sujet.

Aucune innovation n’est intrinsèquement bonne ou mauvaise. Tout dépend de son fonctionnement et surtout de l’utilisation qui en est faite. Malheureusement, les possibilités offertes par les MNBCs accordent trop de pouvoir aux banques centrales et aux gouvernements et ouvrent la voie à des applications néfastes pour la liberté financière des individus.

Un risque de mauvaise utilisation de la part des gouvernements

Comme nous l’évoquions dans le paragraphe précédent, les MNBCs concentrent trop de pouvoir dans les mains des gouvernements. Elles pourraient renforcer leurs capacités de contrôle. Ce n’est pas tout. Elles pourraient également à la création d’un système pouvant nuire aux droits individuels des utilisateurs.

Imaginez par exemple qu’un gouvernement puisse surveiller les dépenses d’un individu et accéder à tous les détails de sa vie financière grâce à une MNBC. Il pourrait lui imposer des censures monétaires, voire supprimer l’intégralité de ses actifs. Aucun gouvernement ne devrait logiquement posséder un tel pouvoir. Le risque de basculer vers le totalitarisme est trop important.

Quid de la vie privée et de l’anonymat des citoyens à l’ère des MNBCs

La question de la vie privée et de l’anonymat des utilisateurs des monnaies numériques de banque centrale se pose également avec acuité.

Aujourd’hui, le principal avantage du cash est l’anonymat qu’il procure. Les transactions en espèces sont discrètes et intraçables. C’est un avantage pour la liberté financière. Malheureusement, nous risquons de le perdre avec l’adoption des MNBCs.

En effet, avec une monnaie fiduciaire digitale, chaque transaction serait enregistrée et contrôlée par la banque centrale qui l’a émise. Nous en avions parlé plus haut. Ainsi, les banques centrales auraient désormais un œil sur toutes les transactions financières. Bien que, d’une part, cette idée puisse contribuer à la lutte contre les infractions et les crimes, elle pose le problème du respect de la confidentialité et de la vie privée des citoyens.

Comme l’indique un rapport de la commission des affaires économiques du Parlement britannique, « aucune MNBC ne peut garantir le même niveau d’anonymat que le cash ». Mais alors, que faut-il faire ? La meilleure solution serait de multiplier les efforts dans le code pour garantir un certain degré d’anonymat. Par exemple, on pourrait garantir la non-traçabilité des transactions dont le montant ne dépasserait pas 1 000 €.

Voilà autant de points de réflexions sur lesquels il sera nécessaire de se pencher afin de garantir un usage modéré, efficace et profitable à tous des MNBCs. En somme, nous estimons que ces monnaies numériques pourraient bien constituer une arme de contrôle supplémentaire pour les gouvernements et les banques centrales. Pour y remédier, il est important de mettre en place un consensus et d’élaborer un cadre réglementaire transparent et précis quant à l’usage et au fonctionnement des MNBCs ainsi qu’à l’exploitation des données qui y sont associées.  

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Luc Jose A.

Diplômé de Sciences Po Toulouse et titulaire d'une certification consultant blockchain délivrée par Alyra, j'ai rejoint l'aventure Cointribune en 2019. Convaincu du potentiel de la blockchain pour transformer de nombreux secteurs de l'économie, j'ai pris l'engagement de sensibiliser et d'informer le grand public sur cet écosystème en constante évolution. Mon objectif est de permettre à chacun de mieux comprendre la blockchain et de saisir les opportunités qu'elle offre. Je m'efforce chaque jour de fournir une analyse objective de l'actualité, de décrypter les tendances du marché, de relayer les dernières innovations technologiques et de mettre en perspective les enjeux économiques et sociétaux de cette révolution en marche.

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