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Les cypherpunks : un mouvement au service de la vie privée

14 min de lecture ▪ par La Rédaction C.

Dans le monde des cryptomonnaies, le mouvement Cypherpunk est souvent mentionné lorsqu’on évoque les origines du Bitcoin (BTC). Mais pourquoi ? Quel rôle a-t-il joué dans la création de la pionnière des cryptomonnaies. Et surtout, de quoi s’agit-il concrètement ? Trouvons ensemble quelques éléments de réponses.

masque de guy fawkes illustrant les origines du mouvement cypherpunk

A quoi correspond le mouvement Cypherpunk ?

Le mot « Cypherpunk » est une contraction des mots « cypher », qui signifie « chiffrement », et « punk », qui fait référence à la rébellion. Il aurait été créé par la développeuse et activiste Jude Milhon en 1992. En réalité, elle s’était inspirée du terme « cyberpunk », qui correspond à un courant de science-fiction caractérisé par un univers immersif où se côtoient décors futuristes et protagonistes réformistes.

Le mouvement Cypherpunk est un groupe de penseurs, de développeurs, de chercheurs et de militants qui se consacrent à la préservation de la liberté d’expression et de la vie privée par le biais de la cryptographie. Les cypherpunks partagent une idéologie commune à mi-chemin entre la crypto-anarchie et le libertarisme.

D’une part, la crypto-anarchie préconise l’anonymisation des communications dans le cyberespace afin de limiter le contrôle de l’information par les pouvoirs publics. D’autre part, le libertarisme défend l’idée d’une société autonome régie sans gouvernants et respectueuse de toutes les libertés individuelles. Cela inclut la liberté d’expression, le libre-échange, la libre circulation, le respect de la propriété privée, la suppression des impôts, etc.

Au cœur de sa démarche, le mouvement Cypherpunk tente de réinventer les régimes sociaux, économiques et politiques en élaborant des réponses technologiques pérennes basées sur la cryptographie.

Par ailleurs, ces dernières décennies, avec des organisations comme WikiLeaks, les cypherpunks ont pris une casquette de lanceurs d’alerte. L’idée étant de porter à la connaissance du public les agissements abusifs des gouvernements, des personnes influentes et des entreprises privées.

Images by WorldSpectrum on Pixabay

Quelles sont leurs origines ?

Collecte abusive de données et des restrictions à l’utilisation de la cryptographie

Dans les années 1980, les progrès de l’informatique étaient remarquables. Internet en était déjà à ses débuts et les ordinateurs étaient de plus en plus présents dans les ménages américains. Toutefois, des doutes subsistaient quant à la manière dont ces outils seraient exploités par les pouvoirs publics.

En effet, à l’époque, certains universitaires et militants craignaient déjà que le gouvernement américain n’utilise le nouveau réseau de communication pour intercepter et collecter des données confidentielles. En d’autres termes, ils craignaient que l’informatisation ne porte atteinte à la vie privée des internautes et à la protection de leurs informations personnelles. Ils étaient convaincus que cette évolution pourrait un jour conduire à la privation de la liberté d’expression.

En outre, à cette période, le chiffrement fort était assimilé à une munition de guerre. Par conséquent, les réglementations en vigueur aux Etats-Unis interdisaient son exportation en dehors du pays. Son utilisation par des civils sur le Web était donc illégale.

En 1985, l’informaticien et cryptographe David Chaum a publié un ouvrage intitulé « Security Without Identification: Transaction Systems to Make Big Brother Obsolete ». Il y évoquait, entre autres, les dérives liées à Internet, en particulier la perte de contrôle sur les informations confidentielles. Chaum avait annoncé qu’à l’avenir, les ordinateurs utiliseraient les données recueillies lors des transactions pour en déduire les habitudes de consommation des populations. Pour prévenir cette éventualité, il préconisait la création d’un dispositif décentralisé qui, basé sur la cryptographie, garantirait la confidentialité des utilisateurs.

drapeau americain afficant des lignes de code en transparence pour souligner limportance de la confidentialité face aux gouvernements dans le mouvement cypherpunk
Credit by TayebMEZAHDIA on Pixabay

La création de la mailing list

A l’époque, les réflexions de Chaum ont profondément inspiré Timothy May, ingénieur en électronique, alors ancien employé de la société informatique Intel. C’est ainsi que, dès 1988, May a commencé à vulgariser ces idées à travers son « Manifeste Crypto Anarchiste ». Il le distribuait sous forme de brochures lors de conférences et autres événements thématiques.

En septembre 1992, Timothy May, Eric Hughes et John Gilmore ont formé un groupe de discussion pour permettre aux techno-anarchistes d’échanger sur divers sujets. 

Leurs centres d’intérêts comprenaient la cryptographie, les mathématiques, l’informatique, la politique, la philosophie, la monnaie, etc. Malgré leurs divergences d’opinion lors de certains débats, les membres de cette communauté avaient pour dénominateur commun leur attachement au respect de la vie privée et des libertés individuelles.

Cela les a naturellement amenés à s’interroger sur les manières de contourner les limites réglementaires relatives à l’utilisation du chiffrement fort, et d’utiliser la cryptographie pour déjouer la surveillance étatique des communications sur Internet.

Au fil du temps, la liste de diffusion a accueilli de plus en plus de personnes, ce qui a donné naissance à une communauté très active. En 1994, elle comptait 700 abonnés, contre près de 2000 en 1997. Au plus fort de l’activité du forum Cypherpunk (décembre 1996 – mars 1999), une moyenne de 30 messages était envoyée par jour.

Pendant tout ce temps, les cypherpunks ont pu communiquer librement sur leurs projets, grâce à des mécanismes de cryptographie tels que PGP. Il s’agit d’un logiciel développé en 1991 par l’informaticien et cryptographe Phil Zimmerman, qui permettait de chiffrer les e-mails.

Qu’est-ce que le Manifeste du Cypherpunk ?

Le 9 mars 1993, Eric Hughes publiait un document intitulé « A Cypherpunk’s Manifesto ». Véritable appel à la conscience, ce texte a servi et sert encore aujourd’hui de manuel de référence pour la pensée idéologique qui anime le mouvement Cypherpunk.

« La vie privée est nécessaire à une société ouverte à l’ère électronique. La vie privée n’est pas un secret. Une affaire privée est quelque chose que l’on ne veut pas que le monde entier sache, mais une affaire secrète est quelque chose que l’on ne veut pas que quelqu’un sache. La vie privée est le pouvoir de se révéler au monde de manière sélective », peut-on y lire.

Dans son manifeste, Hughes soutient que le respect de la vie privée implique de véritablement pouvoir choisir les informations que l’on veut partager, ainsi que les personnes avec lesquelles on souhaite les partager.

Pour lui, la cryptographie forte ne doit pas rester la chasse gardée des forces armées, car elle permet une expression profonde de ce désir de confidentialité.

Par ailleurs, il lance un cri de ralliement pour reprendre le contrôle des données personnelles. Il propose une approche dynamique qui vise à faire émerger une multitude de nouvelles technologies pour soutenir les causes cypherpunk. L’idée est de créer à terme un écosystème virtuel totalement autonome des plateformes centralisées. Pour lui, comme l’ont évoqué ses prédécesseurs, cela devrait passer par la création de systèmes anonymes pour les transactions et les communications, les signatures numériques et, plus intéressant encore, une monnaie numérique décentralisée.

« Nous devons défendre notre propre vie privée si nous voulons en avoir une. Nous devons nous rassembler et créer des systèmes qui permettent d’effectuer des transactions anonymes. (…) Les technologies du passé ne permettaient pas une forte intimité, mais les technologies électroniques le permettent », écrit-il lors de son récit.

En outre, dans son discours, Hughes souligne également la nécessité de créer des applications à la fois libres de droits et distribuées pour faciliter l’atteinte de cette quête.

« Les cypherpunks écrivent du code. (…) Notre code est libre d’utilisation pour tous, dans le monde entier. (…) Nous savons que les logiciels ne peuvent pas être détruits et qu’un système largement dispersé ne peut pas être arrêté », ajoute-t-il.

Credit by TheDigitalWay on Pixabay

Quel est le lien entre Cypherpunk et cryptomonnaies ?

Comme nous pouvons le constater, les idéologues à l’origine du mouvement Cypherpunk rêvaient déjà depuis plusieurs décennies d’une monnaie numérique autonome qui leur permettrait de totalement se délecter de l’organisation sociale existante. 

Au sein de la communauté, plusieurs scientifiques ont tenté de la mettre en place. Cependant, elles ont été confrontées à des défis technologiques et socioculturels qui ont entravé leurs efforts dans ce sens. Malgré tout, ce sont ces différentes tentatives qui ont finalement conduit à l’émergence des cryptomonnaies.

  • En 1990, David Chaum a lancé Digicash, un système de monnaie électronique anonyme qui permettait aux gens de retirer de l’argent de leur banque en utilisant une application, puis, de le dépenser de manière intracable grâce à des clés de chiffrement.
  • En 1997, Adam Back a inventé HashCash, un mécanisme de preuve de travail destiné à lutter contre le spam sur les forums Internet.
  • En 1998, Wei Dai a publié un essai introduisant b-money, un système de monnaie électronique anonyme et distribué. Cette plateforme intégrait déjà les idées fondamentales de la blockchain : preuve de travail, registre transparent, distribution de récompenses, comptabilité collective, authentification des transactions, etc.
  • En 2004, en se basant sur l’algorithme HashCash, Hal Finney a créé un système de preuve de travail réutilisable (RPOW).
  • En 2005, Nick Szabo a lancé BitGold. Considéré comme l’un des précurseurs du Bitcoin, BitGold incitait les validateurs à utiliser leur puissance de calcul pour résoudre des énigmes mathématiques complexes et gagner des récompenses. De plus, sa valeur marchande dépendait de la quantité de ressources (infrastructures, électricité, etc.) déployées pour sa production. Aujourd’hui, ce paramètre influence en partie le prix de certains actifs numériques.
  • En 2008, Satoshi Nakamoto a introduit le bitcoin, en s’inspirant entre autres de HashCash et de b-money. En effet, sur la base de ces écrits, il apparaît que Satoshi était membre du mouvement Cypherpunk, ou du moins, qu’il en partageait les idéaux.

Quelques cypherpunks qui ont marqué l’histoire ?

Les cypherpunks avaient à cœur de développer des technologies pour empêcher les incursions de l’Etat dans la vie privée des citoyens. 

Au fil du temps, ils ont développé une panoplie de solutions utilisées dans la vie courante. Parmi les plus prolifiques d’entre eux, citons (en dehors de ceux mentionnées plus haut) :

  • Tim Berners-Lee, le créateur d’Internet : Adepte de la décentralisation et fervent défenseur du respect de la vie privée, Berners-Lee a soutenu l’utilisation de la cryptographie pour chiffrer les emails et le trafic web.
  • Julian Assange : Il est le fondateur de WikiLeaks, une ONG à but non lucratif fondée en 2006 qui expose certaines réalités sociales et politiques inconnues du grand public afin de garantir la transparence à l’échelle mondiale.
  • Ben Laurie : il a créé le protocole de cryptage SSL pour sécuriser les connexions aux serveurs Web (1998) lors de l’avènement de l’Internet.
  • Tatu Ylönen : c’est le cerveau derrière le protocole d’accès à distance sécurisé SSH.
  • Jacob Appelbaum : il est l’un des principaux développeurs du navigateur web anonyme TOR.
  • Bram Cohen : en 2001, il a créé le protocole de partage de fichiers peer-to-peer BitTorrent.
  • Shafi Goldwasser : elle est connue pour ses travaux dans le domaine de la cryptographie. Elle a notamment mené des études sur la génération de nombres aléatoires présentant un haut niveau de sécurité. Cela a contribué à l’élaboration de normes de chiffrement avancées (AES, ECDSA, …).
  • Richard Stallman : il a fondé la Free Software Foundation. Cette association encourage la distribution de logiciels opensource afin de permettre à quiconque de disposer librement de leur code source.
  • Ron Rivest : Avec Adi Shamir et Len Adleman, il a inventé le système de chiffrement à clé publique RSA. Il est également à l’origine des algorithmes à clé symétrique RC2, RC4, RC5, et a co-créé le RC6.

Conclusion

Bien avant que le mouvement ne soit formalisé, les principes qui sous-tendent les cypherpunks étaient déjà défendus par un certain nombre de spécialistes. Alors que les pionniers de cette idéologie ont formulé des pistes de solution, les nouvelles générations se sont amusées à les transposer dans la réalité. 

Aujourd’hui, comme nous pouvons le constater, l’impact des cypherpunks sur les questions de vie privée et de liberté est immense. Il en va de même pour le bitcoin dont même le logo atteste de l’influence du mouvement Cypherpunk sur ce dernier. Mais le combat est loin d’être terminé. L’évolution des technologies fait apparaître de nouvelles menaces pour les données confidentielles. Par conséquent, la communauté doit poursuivre son expansion et amplifier ses efforts dans l’élaboration de solutions préventives.

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